L'Eglise et le féminin
L'EGLISE ET LE FEMININ
Revisiter l'histoire pour servir l'Evangile
Anne-Marie PELLETIER
Ed. Salvator 2021
167 p.
Anne-Marie Pelletier est agrégée de lettres, docteur en sciences des religions et professeur émérite des universités.
En tant que lectrice, et donc femme, j'avais quelques à priori à ouvrir un nouveau livre sur « La femme dans le monde d'aujourd'hui », « L'Eglise et les femmes » ou « Masculin-féminin ». Nous en sommes un peu saturés.
Il est vrai que, dans le contexte polémique et aussi dramatique actuel, c'est un vrai sujet de société.
Et si heureusement la parole se libère, ce n'est pas d'aujourd'hui que le problème existe, ne se cantonnant bien évidemment pas que dans l'Eglise.
Encouragée par un ami moine, et ce n'est pas anodin, c'est finalement avec grand intérêt que j'ai lu « d'un trait » ce livre d'Anne-Marie Pelletier dont les connaissances en sciences des religions et le talent d'écrivain ne sont plus à démontrer.
On sort assez sidéré de cette accumulation d'éléments misogynes installés depuis la nuit des temps, souvent d'origine biblique, qui a permis au sexe masculin de se croire dominant . Entre la préhistoire, l'époque médiévale et le XXI° siècle, le monde a bien changé et pourtant, hommes et femmes en gardent toujours les marques conscientes ou inconscientes.
Sujet sensible de nos jours, cette dominance masculine se concrétise notamment dans le système hiérarchique de l'Eglise et le pouvoir qu'il entend exercer, la femme, au mieux, étant reconnue complémentaire (?) de l'homme.
Anne-Marie Pelletier entre dans le détail de ces réalités sans polémique mais sans avoir peur des mots ni de dévoiler le fond des choses. Un document donc bien utile à tous car on ne mesure pas toujours l'ampleur et surtout l'enracinement de tels préjugés.
A.M. Pelletier développe aussi l'usage qui est fait de la métaphore conjugale , « de l'amour mari/femme... terrible charge d'avoir à reproduire de manière parfaite l'union qui existe entre le Christ et son Eglise ». Le pape François souligne dans Amoris laetitia, le caractère « d'analogie imparfaite. » (p.90). L'auteur mentionne également la difficulté qu'a l'homme de faire le lien entre le Dieu « que nul n'a jamais vu » et l'humain forcément limité,fragile et fluctuant . L'image bien connue et aimée du pasteur qui garde ses brebis n'a -t-elle pas en fait servi les clercs ayant désormais « le monopole de l'autorité » ? De ce point de vue, certains directeurs ou accompagnants spirituels ont de quoi se remettre en cause. Cela fait partie des abus dont on parle dans les médias.
Ce pouvoir est souligné par l'auteur qui précise que cela a « de quoi semer le trouble au sein du masculin. Et pire que le trouble, de la peur. » (p.24) Et pourquoi cette peur ? « Il pourrait y avoir là, quelque raison en relation avec une figure maternelle archaïque, fantasmée comme une menace de fusion, de dévoration. » (p.25)
Pour défendre, s'il est possible, les prétentions masculines, je m'étonne cependant qu'à propos de l'origine d'une telle domination, plus qu'en cherchant dans les Ecritures ou les textes anciens, ne soit qu'a peine évoquée l'évidence, dès son apparition sur la terre, d'une certaine force physique de l'homme qui le rend dominant mais aussi protecteur, assurant la nourriture par la chasse et la pêche pendant que la femme met au monde une descendance et s'occupe des petits. Il en va aussi souvent de même dans le monde animal. Et il n'y a pas de honte à cela, si la complémentarité est équilibrée mettant les partenaires à égalité, l'un ayant tout aussi besoin de l'autre.
D' ailleurs, l'auteur n'omet pas de signaler qu'il y a dans l'histoire de l'Eglise de beaux exemples dès les premiers siècles du christianisme et à tous les siècles qui ont suivi, de femmes qui ont su s'imposer par leur valeur et leurs charismes.
Dans ce livre, de nombreuses causes enfouies sont révélées et laissent pantois quant à la récupération par l'homme de tout ce qui pourrait donner à la femme un certain pouvoir sur lui. On a beau le savoir, le prendre parfois à la légère ou avec humour, la réalité des faits est incontestable. La libération de la parole, de nos jours, ouvre toutes ces portes verrouillées, parfois avec une violence qui peut se comprendre venant de la part de femmes violentées, asservies, humiliées.
Oui, il faut lire ce livre qui revisite l'histoire , usant parfois d'un langage un peu savant mais qui a le mérite d'éclairer la problématique sensible et douloureuse des rapports entre l'Eglise et le féminin. Sans nul doute, cela nous sera utile pour être tous de véritables serviteurs de l'Evangile.
DG
Extraits
- L'Eglise catholique apparaît à beaucoup empêtrée de misogynie. Elle renvoie l'image difficile d'un féminin en déficit de reconnaissance, qui reste immobilisé dans des stéréotypes souvent provocateurs, dans une institution massivement masculine, qui tient les femmes à distance de la gouvernance, des charges liturgiques, de la prédication. (p.8)
- Il n'est nullement exclu que le plus enfoui continue à habiter nos réflexes et à régler en sous-main nos pratiques, y compris dans l'ordre du religieux. ( p.21)
- Inscrite originellement dans les corps, donc à sa source affaire de biologie, cette différence des sexes est élaborée par les communautés humaines de diverses manières... Le point décisif... est que l'interprétation prenne toujours la même direction : elle joue systématiquement au profit des hommes. (p.22)
- A la différence du féminin, auquel [la capacité de discourir] est tout à fait déniée, le masculin est censé avoir la capacité de parler par-delà la différence des sexes. Donc d'inclure tacitement le féminin, ce qui signifie en réalité l'absorber, parler pour lui, à sa place. (p.45)
Mise à jour : Lundi 29 Novembre 2021, 16:31
Denyse
dans 01 - LIVRES - REVUES - Résumés, extraits...2016-2024
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