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L'Homme intérieur - André LOUF

L' HOMME INTERIEUR
Au cœur de l'expérience spirituelle

DOM ANDRE LOUF

Ed. Salvator, 2021

211 p.
                                 
 
 Dom André Louf (1929-2010) a été abbé de la trappe du Mont des Cats pendant trente-cinq ans. Ses écrits, devenus des classiques de la vie intérieure, l'ont imposé comme l'un des maîtres spirituels du christianisme contemporain.

 Au cœur de cette traversée difficile que fait l'Eglise  et qui nous pousse à déserter, notre impuissance, nos doutes, nos nuits de la foi ne doivent pas être des raisons de désespérer. Elles sont au contraire le terreau de la grâce de Dieu.

« Le christianisme n'est pas une morale ou une idéologie, mais une voie de transformation de l'être, une doctrine de l'éveil, un chemin de liberté : il conduit à la profondeur de l'expérience spirituelle et à la joie qui ne passe pas. » (p.17)

C'est avec sa grande clarté habituelle que les réflexions d'André Louf sur la vie intérieure nous aident à resituer notre vie spirituelle en soulignant les limites de notre condition humaine et l'humilité nécessaire pour accueillir l'Esprit-Saint qui habite au plus intime de nous-même et le laisser agir.

Nous avons à faire l'expérience de notre impuissance, à apprendre l'humilité et à laisser agir la grâce de Dieu sans se laisser écraser par nos doutes. A l'écoute de la Parole de Dieu , on va découvrir une paix qui ne peut tromper. Mais pourquoi aujourd'hui tant de difficultés à s'y abandonner ?

  • Le risque de l'idéologie : notre foi est-elle une vie ou des convictions ?

  • Tentation de l'activisme : il nous faut toujours rester en contact avec la source divine. Mais être un contemplatif en action (St Ignace).

Il nous faut accepter simplement d'être pécheurs et que le pardon de Dieu nous restaure.

Ce qui se passe quand je prie.

Il y a en nous comme une source souvent obstruée par des pierres qu'il nous suffit d'enlever. Et la source jaillit comme une mise au monde d'une vie nouvelle. Pas toujours sans souffrance.

Comment se laisser atteindre par Dieu en nous ? Y a-t-il des méthodes ? Les sentiments éprouvés restent aussi insuffisants. Il faut s'abandonner à l'action de Dieu, ne pas compter sur nos efforts et identifier aussi nos résistances. Il faut s'abandonner à la poussée intérieure de l'Esprit, là où est la source et notre « maître intérieur » (St Augustin).

La paix du cœur – Un don et une contagion.

« Que la paix soit avec vous ! » dit Jésus

Est-ce une illusion d'y croire ? Cela ne changera pas les conflits mais la façon de les subir.

« Garde ton âme dans la paix et une multitude autour de toi seront sauvés. » (Séraphin de Sarov)

La vie spirituelle – Entre action et contemplation.

Les récits bibliques en témoignent : les chemins de Dieu se préparent au désert. D'où ces vocations particulières des vies religieuses. La vie monastique n'est pas un abri, un refuge, ni même un lieu de paix. C'est un creuset, « un lieu pour renaître » (Bruno Bettelheim) où va s'expérimenter la communion fraternelle et la communion avec Dieu. Le chemin n'est pas facile et il va sans doute falloir se faire aider...

L'écoute est au cœur de la vie spirituelle car il s'agit de percevoir le murmure de l'Esprit et de s'ajuster à lui.

En finir avec la culpabilité.

Se repentir est une démarche difficile. Mais découvrir sa faiblesse, ses limites peut nous ouvrir à la miséricorde de Dieu. «  Je suis venu non pour les justes mais pour les pécheurs. » L'image de l'échelle est aussi souvent évoquée (St Jean Climaque, St Benoît, St Ignace), elle traduit effectivement une ascension intérieure. Mais alors, comment se rapprocher de Jésus serviteur qui s'abaisse ?

Le chrétien éprouve souvent un sentiment de culpabilité diffus mais tenace alors qu'en fait, il s'agit de laisser la place au Saint-Esprit, véritable maître intérieur.

Attention au risque , au piège de se glorifier d'une certaine fausse humilité, telle celle du pharisien. Etre fiers (même en secret) de jeûner, de prier, de se sentir progresser. Nous avons à faire face à de multiples tentations, à supporter aussi humblement un échec, une faute.

«  On m'a éprouvé pour me faire tomber, mais le Seigneur m'a soutenu ; ma force et ma louange, c'est le seigneur : il fut pour moi le salut . » (Ps 117)

Dieu veut-il nous éprouver pour nous rendre plus forts ? Pierre, par son reniement, a compris sa faiblesse, son manque d'humilité. Les Anciens parlent d'un « brisement du coeur » nécessaire pour accueillir grâce et miséricorde. Saint Bernard souligne que, devant notre faiblesse, « Jésus étend la main sur nous... Nous nous relevons plus forts... le péché même coopère ainsi à notre sainteté. »

Le désert intérieur – Eloge de la solitude

Le désert fait partie du patrimoine de l'Eglise : Exode, prophètes, Jésus... L'Eglise navigue elle aussi entre le monde où Dieu l'appelle et le désert où il est nécessaire qu'elle se ressource.

Le désert présente une double face : celle bienfaisante, généralement temporaire où on trouve le calme et le ressourcement. Désert aussi, qui à la longue, peut devenir éprouvant (solitude, soif, monotonie, désir de distractions). L'absence de Dieu peut alors y être ressentie douloureusement (Jésus sur la croix). Tout cela est normal. C'est le « baptême du désert » (St Bernard).
Les ermites sont là comme des témoins et des signes d'une réalité essentielle de l'Eglise. Nul besoin qu'ils soient vus ou connus. Ils existent et cela suffit.

Peut survenir alors une quiétude, un sentiment de paix, le Saint-Esprit nous attirant doucement vers les profondeurs de notre cœur, là où le Seigneur habite.

L'épreuve dépouille et la joie comble. Aridité et consolation alternent.

 La traversée de la nuit. Une expérience chrétienne de l'athéisme.

Selon certains contemplatifs, on ne peut atteindre un Dieu qui, par définition, serait transcendant, Tout-Autre ; il suffirait pour être chrétien de se dévouer généreusement au service de l'humanité.

« Le désert met à nu notre cœur ; il nous enlève nos prétextes, nos alibis, nos imparfaites images de Dieu ; il nous réduit à l'essentiel, nous accule à notre vérité, sans fuite possible. Cela peut-être bénéfique pour la foi elle-même ; c'est alors, au cœur de notre misère, que les merveilles de la miséricorde de Dieu se manifestent ; au cœur de notre pesanteur, la grâce, l'extraordinaire force de Dieu 'qui se déploie dans notre faiblesse' ».

Jésus, sur la croix, a exprimé lui aussi son sentiment d'être abandonné par son Père. (Mt27).
Ce temps d'épreuve est nommé « acédie » par Jean Cassien.

« L'homme abandonne la prière et ne réussit même pas à s'approcher d'elle. Il est tout à fait incapable de croire à un changement ni de penser qu'il retrouvera la paix. » (p.131)

Il ne sert à rien de vouloir éviter cette épreuve qui attend tous ceux qui veulent s'approcher de Dieu. « Océan de doutes » (Isaac le Syrien)

Il faut en discerner le sens.

Ces épreuves sont salutaires notamment comme apprentissage de l'humilité, la prise de conscience de notre non-maîtrise et que tout est grâce.

« L'humilité est la qualité d'un esprit en bonne santé. » (Isaac le Syrien)

Sentiment d'être dans la perte et en même temps quelque chose dit à l'homme que Dieu est là.

« Bienheureux celui qui a supporté le découragement en gardant l'espérance dans la grâce de Dieu, ce qui constitue l'épreuve secrète d'un esprit qui devient meilleur et se développe. Cet état se compare à la désolation de l'hiver qui permet à la semence cachée sous terre de pourrir et de se développer. (Isaac le Syrien, p.136)

L'effort et la grâce. Redécouvrir l'ascèse.

Les pénitences de Carême n'existent plus guère de nos jours. Elles étaient d'ailleurs souvent mal comprises avec un côté un peu masochiste. Dieu serait-il pervers exigeant de nous la souffrance ?

Mais si on comprend que le corps est le « temple du Saint-Esprit », le respecter prend alors tout son sens. « Glorifiez Dieu dans votre corps ! » , dit saint Paul. (1Co 6, 18-20)

Jeûner et veiller

Manger moins, supprimer un repas ? Oui, pour ressentir la faim corporelle, comme d'autres la subissent. Apprendre aussi à maîtriser nos faims corporelles ou autres. Mais en vue d'une autre faim plus spirituelle.
La veille : comme le font, chaque nuit, les moines et moniales : attendre l'aube qui figure le retour du Christ venant nous inonder de sa lumière.

Saint Bernard évoquait trois avènements :

- le premier : lors de l'Incarnation de Jésus
- le troisième : lorsque le Christ reviendra dans sa gloire
- le deuxième , intermédiaire, qui a lieu continuellement dans l'Eglise, au plus intime du cœur des croyants.

Nos efforts d'humilité faits pendant le Carême rejoignent l'abaissement de Jésus pendant sa passion. Ils doivent réellement affecter notre cœur et nous rendre plus pauvres et plus petits devant Dieu. Cela nous demande un effort certain et persévérant mais qui est soutenu par la grâce.

«  Déchirez vos cœurs et revenez au Seigneur votre Dieu. » (Joël 2)

Ces démarches doivent être faites dans la joie de l'Esprit-Saint, une joie profonde qui dépasse de beaucoup un plaisir passager. Telle la joie de l'amitié : avoir rencontré un être qui nous accepte, qui est pour nous consentement et promotion.

La joie profonde est transformante pour soi-même et pour les autres. Elle peut imposer de lâcher les petits bonheurs momentanés. C'est là que naît l'ascèse. Il n'y aura alors plus contrainte mais détente de tout l'être par la joie de ce qui est vécu. Donc, pas d'ascèse sans joie profonde en laquelle nous devons avoir confiance.

Laisser éclater la joie de Dieu en nous, et la force de Dieu en nous, qui est l'Esprit-Saint.

S'éveiller à l'Esprit – Accompagnement spirituel

« N'appelez personne 'Père' sur terre, un seul est votre Père, dans les cieux ». (Matthieu 22,8)

Cependant, la vie monastique a très tôt suscité la nécessité pour les moines d'un accompagnement spirituel qui permet d'être aidé par l'expérience d'un autre puis à son tour de transmettre.

Au fil des siècles, cet accompagnement a beaucoup évolué : de l'obéissance sans conditions à une prise en compte plus personnelle et plus psychologique de l'accompagné.

Depuis le 9°s., la Règle de saint Benoît s'est imposée avec ses exigences mais aussi ses nuances, l'accompagnateur spirituel (ou l'abbé) devant d'abord être un exemple pour ses frères. Ouvrir son cœur à son père spirituel est d'abord un face à face avec la miséricorde de Dieu. L'humilité du père spirituel, lui aussi pécheur, est aussi nécessaire, ainsi que la prudence car nous sommes tous fragiles. Seul l'amour guérit. L'enseignement d'Ignace de Loyola (Exercices spirituels) s'appuie sur ces éléments-là.

L'accompagnement spirituel a pour objet la vie de l'Esprit bien plus que la transmission d'un savoir. Le but est de faire se révéler à travers la relation père-fils, l'attente de Dieu. La décision appartient toujours à l'accompagné quand elle sera devenue pour lui Parole de Dieu.

L'accompagnateur doit aider à faire se révéler les profondeurs du cœur, à s'accueillir soi-même tel qu'on est, à découvrir en soi le germe de la vie divine et à le faire évoluer malgré les écueils. Avant de guérir, nous devons prendre conscience de nos blessures. Il faut aider l'autre à apprivoiser ses désirs, ses tentations et même son péché. L'accompagnateur se doit d' être une personne de profonde compassion (= pleurer avec) avec absence de tout jugement.

Nous avons aussi en nous un « gendarme intérieur » qui nous pilote ou nous culpabilise et aussi bien des « gendarmes extérieurs » qui vont approuver ou désapprouver nos pensées et nos actions.

Le « renoncement à la volonté propre », souvent évoqué, doit nous permettre de récupérer une authentique liberté spirituelle.
 

Ecologie de la vie intérieure – Prière et sauvegarde de la Création

Quels liens entre écologie et prière ?

  • Les traces du Créateur

Dans les psaumes, en particulier, la nature y est priée et chantée, le Seigneur glorifié.
Le récit de la Genèse commence par la Création et « Dieu vit que cela était bon ». Il culmine par la création de l'homme et de la femme à l'image et à la ressemblance de Dieu. (cf. Ecclésiastique 43 ; Sagesse 11,22 ; 12,21)

La nature nous révèle des « signes » de Dieu que nous ne savons pas toujours reconnaître (Marc 4, 11-12)

  • Le bourgeonnement d'une vie nouvelle

à travers la vie de Jésus et son message mais qui annonce aussi une « grande détresse ». Jésus fait bien sentir l'ambiguïté du regard chrétien entre admiration de la création et crainte d'une évolution apocalyptique. La nature est-elle destinée à disparaître ?

  • Le regard des spirituels sur la Création

Dès le 4°s., les auteurs spirituels décrivent un certain parcours :

¤ la connaissance extérieure des réalités par l'usage de la raison (savants, sciences...)

¤ la connaissance intérieure (Pères grecs) avec une perception plus profonde des êtres par rapport à leur lien avec Dieu et sa grâce. Vraie nature des choses.

La plupart des gens sont privés d'un tel regard par une sorte de brouillard, de voile devant leurs yeux. Les apparences barrent le passage aux réalités spirituelles (Maxime le Confesseur). Il s'agit pour nous d'unifier la création matérielle et la création spirituelle car à travers tout, on perçoit l'intention profonde du Créateur.

L'homme intérieur doit en quelque sorte débarrasser son cœur de la rouille qui « tache sa beauté » pour retrouver, purifiée, son image première. (Grégoire de Nysse)

  • Le chant des louanges

Notre connaissance de Dieu nous pousse alors à le prier, à le louer, à rendre grâce. Louange écologique ! La contemplation spirituelle nous invite à voir les choses matérielles (la nature par exemple) avec un regard neuf qui perçoit la Providence de Dieu cachée et à l'oeuvre. Quelque chose de Dieu est bien présent dans toutes les créatures, « divinité qui est en nous » (Syméon de Taibouteh) et entraîne le respect :

Attachement à la culture d'un petit jardin (St Bruno et les chartreux) , regard sur les forêts (St Bernard), planter un arbre comme un ami (Hildegarde de Bingen), cantique du soleil (S François d'Assise), St Jérôme nourrissant un lion, Séraphim de Sarov ami d'un ours …

  • Le sacerdoce écologique de la prière.

Il ne s'agit pas d'un regard admiratif et naïf . Il faut être conscient que cette création est appelée à disparaître mais ce sera pour voir Dieu face à face. La prière n'est pas toujours un havre de paix. Il y a des passages à vide, des tentations, des nuits ( St Jean de la Croix), des « sécheresses » (François de Sales), le temps de l'hiver. L'aridité nous apprend l'humilité.

«  La Création gémit en travail d'enfantement » (Romains 8,19) mais en même temps il y a une joie secrète et intense. (Jean 16,21). La prière est une façon d'attendre la transformation du monde mais aussi de la hâter. Veillez donc ! Elle aide à avancer plus légèrement et à traverser les épreuves. La prière est une « méthode de transfiguration » (Lev Gillet).

Parce que nous devenons capables de porter un regard neuf et divin sur le monde, nous pouvons transformer le monde. (cf. Un moine de l'Eglise d'Orient, La Prière de Jésus, Ed. Chevetogne 1963)


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Mise à jour : Mardi 22 Mars 2022, 17:48
Denyse dans 01 - LIVRES - REVUES - Résumés, extraits...2016-2024 - Lu 369 fois - Version imprimable
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