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Le TEMPS des MOINES

 Le Temps des moines

Clôture et hospitalité

Danièle HERVIEU-LEGER

Ed PUF, 2017
709 p.

             

 Voici un travail remarquable publié sous le titre « Le Temps des moines » et qui va hautement intéresser les moines bénédictins et cisterciens directement concernés par ce sujet mais aussi tous religieux et personnes attentifs au vécu des contemplatifs.

Le complèment de titre « Clôture et hospitalité » est assez peu explicite et réducteur étant donné l’envergure et la richesse du contenu. Il joue sans doute sur l’idée que les moines sont des hommes considérés comme ‘hors du monde’ tout en étant ‘dans le monde’. « Traversée sociologique de l’histoire monastique contemporaine » (p.691) aurait peut-être mieux convenu…

Un pari que cette vie monastique, une belle utopie (c’est le mot-clé qui revient tout au long de ce livre) et que l’Histoire et la condition humaine tout simplement vont malmener, blesser, relever, faire progresser, interroger …

Fruit de 25 années de travail , d’observation et d’entretiens dans les monastères masculins, ce livre a été conçu par Danièle Hervieu-Léger, sociologue des religions, avec cette particularité de traiter le sujet sous un angle strictement sociologique sans coloration religieuse. Pour qui connaît le monde monastique, on ne peut qu’apprécier les remarques très fines et très justes de l’auteure qui traduisent une analyse approfondie de ces vies complexes que la science sociologique seule ne peut cependant expliquer totalement.

Peut-être difficilement abordable pour qui ne connaît pas le « milieu », cette fresque historico-sociologique sur l’aventure monastique des deux derniers siècles surtout en France, mais aussi en Belgique , devrait réellement passionner , moines , moniales et familiers des monastères .

Cet impressionnant travail qui fera certainement date et référence n’est pas sans nous éclairer sur la vie de l’Eglise toute entière avec ses cruciales interrogations actuelles : quel avenir pour l’Eglise, pour les communautés ? Est-ce la fin de l’utopie monastique avec ses petites communautés âgées qui se resserrent face à leur précarité ou au contraire «  un bonheur en Dieu » est-il possible vécu notamment dans la rigueur par quelques communautés « riches de moines » ? Le monachisme si attaché à ses racines  peut-il espérer un renouveau pour les temps à venir ?

Le juste équilibre « entre clôture et ouverture » si difficile à trouver en ces temps où l’informatique ouvre toutes les portes, y compris celles des monastères, et où l’amour fraternel peut conduire au martyr comme à Tibhirine, gardera sans doute toujours une part d’utopie. Croire en Dieu et lui donner sa vie ne suffisent pas pour que des hommes maîtrisent les projets divins. La recherche de Dieu, sur terre, reste une quête sans fin et sans mesure.

 Ce livre rigoureux et clair (malgré de longues phrases au vocabulaire parfois un peu technique) a, en fin de volume, un index des noms cités, et une  table des chapitres et sous-chapitres très détaillée. Au fil de la lecture, de nombreuses références sont aussi mentionnées en bas de page.

 Quelques grandes lignes de ce livre :

- Alors que la Révolution accuse « l’inutilité sociale des moines », les communautés monastiques connaissent un impressionnant renouveau au 19ième s.

L’autorité abbatiale est forte et « la communauté des moines est un corps intermédiaire entre le ciel et la terre » qui se doit d’être exemplaire. La Réforme refusera cette idée d’élites.

Dom Guéranger à Solesmes et Jean-Baptiste Muard à la Pierre-qui-vire ont conscience de l’urgence de leur mission dans ce monde sans Dieu . Emmanuel André au Mesnil-Saint-Loup va fixer à sa communauté paroissiale un objectif de perfection chrétienne jusqu’à l’obsession.

- 1860-1880 est le temps des mutations culturelles. Former les curés devient urgent et l’Eglise est toujours dans la perspective de reprendre le pouvoir . La référence est la continuité de la Règle, la préservation de la Tradition tout en ayant conscience de l’évolution mais en la craignant.

- Tenant la place du Christ, la place de l’abbé est capitale et à son autorité répond l’obéissance des moines, jusqu’à l’excès. C’est une parfaite monarchie.

Face à la montée du libéralisme, l’Eglise se radicalise soutenue par les milieux traditionnalistes.

- 1901… Démantèlement des congrégations, dispersions des communautés qui suscitent aussi un renforcement . L’expérience de la guerre (fraternisation) va bouleverser l’antimodernisme monastique et entraîner une évolution considérable dans la qualité de la vie communautaire et une désacralisation de l’autorité du supérieur  dont la paternité reste cependant bien réelle et respectée.

Tout comme l’évolution de la famille à la même époque, cette mutation qui est aussi fonction de la personnalité de l’abbé, a entraîné des résistances, faisant vaciller l’univers et l’identité du moine.

- 1950… " L’utopie monastique au prisme des métamorphoses de l’ascèse."

Autrefois très valorisée, la rupture physique avec le monde demeurant bien réelle, l’ascèse est reconsidérée avec davantage de discernement et de mesure.

Les monastères optent pour des activités pastorales ou non.

- 1960… Les tendances nouvelles ouvertes par Vatican II se concrètiseront d’abord dans la liturgie qui , vu le temps qu’y consacrent les moines, « devient l’expression du changement et même son opérateur. »

L’auteure analyse ici de façon fort intéressante la puissance de la liturgie dans ses codes, ses espaces, ses scénographies où rien n’est jamais anodin. Les choix monastiques (par exemple liturgie avec fastes ou liturgie austère) vont être très révélateurs  de l’esprit des communautés, de leur résistance (ou non) aux réformes. Par contre les Père Congar et de Lubac, en avance sur leur temps vont être discrédités par Rome. De même, à l’abbaye de Chèvetogne,  Dom Lambert Beauduin énergique et audacieux notamment dans le domaine œcuménique, va devoir se mettre en retrait.

C’est l’époque de la sécession de Mgr Lefèvre et de la Fraternité saint Pie X.

- 1970 …. Dom Delatte à Solesmes refonde une vie très contemplative sans s’opposer de front avec le Concile. Alors qu’à Saint Benoît sur Loire,  l’évolution est paisible et progressive. Dans beaucoup de monastères les nouvelles pratiques s’installent avec prudence et une certaine liberté est laissée aux abbés, donnant à chaque communauté sa couleur propre.

 Sur le plan œcuménique, l’auteure évoque l’abbé Couturier qui invente la semaine de prière pour l’unité des chrétiens. L’expérience communautaire de Taizé est retracée en détail soulignant forces, faiblesses et épreuves ainsi que le charisme de Roger Schutz.

- 1966-1971 est l’époque des rencontres de la jeunesse et du Concile des jeunes.

Chèvetogne établit des liens avec les Eglises orientales et le Bec-Hellouin avec l’archevêché de Cantorbéry

Mais l’œcuménisme d’aujourd’hui s’essouffle…

 - Le chapitre 7 aborde la grande question : « Pourquoi se retirer du monde ? »

« Va, quitte tout et suis moi » dit Jésus

Conservateurs ou progressistes, chacun donne un sens à plus ou moins de retrait.

Retrait (solitude, célibat, silence) qui est un outil mis au service de la recherche exclusive de Dieu. Retrait qui a de fortes exigences mais n’a de sens que si le moine y trouve paix et joie. Certains y ont vu une fuite du monde.

Aujourd’hui où les murs n'ont plus guère de sens, les moines insistent davantage sur une « clôture intérieure », une disposition du cœur.
Avec internet, le monde est entré dans la clôture et aucune communauté n’a fait le choix de s’en écarter en particulier pour des raisons économiques mais aussi relationnelles avec l’Ordre. Tout est dans la maîtrise de l’outil et c’est un vrai défi.

A partir des années soixante, le moine n’est plus considéré comme une élite. C’est une voie singulière. La vie du laïc peut être aussi un « chemin de perfection » moins spectaculaire que la vie monastique mais pas moins exigeant.

 L’auteure étudie ensuite, et c’est intéressant, le parcours des communautés monastiques de Jérusalem (moines dans la cité), les particularités des communautés plus radicales de Fongombault et du Barroux, le système du pouvoir à l’abbaye de Sept-Fons qui compte aujourd’hui 80 moines.

Les aventures passionnantes mais douloureuses de Maredsous (Belgique) et de Boquen, dans les années 70,  ont anticipé des questions devenues actuelles.

« Les moines ont révélé dans tous les entretiens une extrême sensibilité à l’incertitude des temps… Il faut d’abord croire qu’il y a un avenir… » (p.617)

 L’attrait que présentent les monastères et leurs hotelleries est cependant significatif d’une forme de vie décalée où on savoure le temps, d’autres rythmes, une qualité de vie, un art de vivre ensemble, un rapport apaisé avec la mort. Vu de l’extérieur, le passant idéalise certes un peu car la réalité monastique est parfois bien plus rude , mais en ces temps de crise, les effets bénéfiques sont indéniables même si la foi n’y est pas. C’est là où l’hospitalité bienveillante des moines joue tout son rôle.

Dans ce contexte, le vécu et la mort par assassinat des sept moines trappistes de l’Atlas ont violemment touché toutes les communautés et bien au-delà . Une pensée de Christian de Chergé, même si elle s’applique davantage au monde musulman,  peut rejoindre celles de la plupart des moines :

« Nous pensons rester fidèles au charisme monastique de notre ordre en cherchant à nous maintenir dans un équilibre difficile entre partage de l’épreuve et présence à Dieu. C’est capital, il nous faut tenir les deux bouts de la chaîne, en qualité et en intensité. » (cité p.690)

 DG
 20.10.2017

Mise à jour : Mercredi 25 Octobre 2017, 13:38
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