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Les derniers jours de Pékin

 LES DERNIERS JOURS DE PEKIN

Pierre LOTI

Editions Magellan 2021
316 p

                           

Les événements relatés par Pierre LOTI (1850-1923) dans ce livre couvrent  la période de septembre 1900 à mai 1901 et se passent à Pékin.

Pierre Loti , à cette époque officier de marine, est en charge, à l'issue de la révolte des Boxers, d'encadrer un secteur de la ville de Pékin aux cotés d'autres délégations mondiales qui viennent y protéger leurs ressortissants (Grande-Bretagne, France, Russie, Allemagne, Italie ; Autriche, Etats-Unis, Japon). Le conflit vient de cesser quand Pierre Loti arrive. Il n'aura pas à se battre mais il va rapporter de son séjour un reportage inouï.

Les Chinois ont été torturés, massacrés, la ville et les villages ont été incendiés, détruits, les rues sont jonchées de morts et, dans un chaos total, Pékin n'est plus que l'ombre d'elle-même. Les temples et leurs splendeurs surgissent dans un décor fantomatique fait de cadavres, de poussière, d'odeurs insupportables, habités seulement par d'immenses statues aux yeux baissés, et gardés par d'innombrables lions et monstres de pierre .

Dans un spectacle de fin du monde particulièrement traumatisant, Pierre Loti, observateur de grand talent et écrivain remarquable, relate son séjour et ses découvertes de la Cité jadis Interdite dans sa beauté incroyable, celle d'une grande civilisation, mais aussi dans sa déchéance probable.

Le récit de Pierre Loti est d'une grande richesse, réaliste, poétique souvent et en même temps, il frappe par un regard un peu glaçant qui garde ses distances, comme celui d'une caméra qui observe et parcourt lentement des lieux insolites, des manifestations hors du temps et de notre culture. Une culture chinoise qui s'efforce de survivre malgré les traumatismes.

L'auteur a bien conscience de son privilège , et il s'en culpabilise même parfois, à pouvoir franchir les murailles et les portes peintes rouge sang et or, les salles souvent vides , les couloirs sans fin, les allées de marbre blanc réservées à l'impératrice, les jardins jadis fastueux. Sa compagnie est chargée aussi de l'inventaire du mobilier, ou de ce qu'il en reste, et s'honore de mettre à l'abri des meubles, de la vaisselle hors de prix, des porcelaines brisées, des vêtements véritables œuvres d'art, derniers trésors d'un autre monde qui laissent l'auteur admiratif, fasciné mais aussi confronté à un grand désenchantement face à cette humanité (ou inhumanité?) et cette civilisation étonnante.

C'est aussi pour le lecteur une page d'histoire mal connue , relatée ici avec virtuosité dans toute l' âpreté et l'horreur d'une guerre sans merci en des lieux et des temples qui pourtant voulaient atteindre le Ciel. Un contraste saisissant.

En-dehors de scènes macabres, on voudrait citer ici de multiples passages décrivant notamment la Cité Interdite et son architecture ou les traditions chinoises toujours vivaces lors de réceptions militaires qui s'apparentent à des films fous ou à des carnavals. Le dernier chapitre du livre clôt cette aventure hors du commun par un dîner spectaculaire , décrit admirablement, donné avant le retour des troupes françaises vers la France. Fantastique !

Il faut (re)lire Pierre Loti !.

On apprécie aussi les nombreuses notes de bas de page qui précisent des noms, des lieux et les quelques photos d'époque illustrant ce récit. La couverture « Le jardin de la clarté parfaite » , palais d'Eté de Pékin, détruit en 1860, est superbe, symbole d'un monde perdu dont il reste heureusement une Cité Interdite restaurée qu'on peut aujourd'hui visiter.

DG

Extraits

  • Pendant deux mois, les rages de destruction, les frénésies de meurtre se sont acharnées sur cette malheureuse « Ville de la Pureté céleste », envahie par les troupes de huit à dix nations diverses. Elle a subi les premiers chocs de toutes les haines héréditaires. Les Boxers d'abord y ont passé. Les Japonais y sont venus, héroïques petits soldats dont je ne voudrais pas médire, mais qui détruisent et tuent comme autrefois les armées barbares... Il y est venu de cruels cavaliers de l'Inde, délégués par la Grande-Bretagne. L'Amérique y a lâché ses mercenaires. Et il n'y restait plus rien d'intact quand sont arrivés, dans la première excitation de vengeance contre les atrocités chinoises, les Italiens, les Allemands, les Autrichiens, les Français. ( p.67) 

  • Au-dessus des glaces, c'est, suivant l'usage chinois, une série de châssis légers, en papier de riz, montant jusqu'au plafond d'où retombent ici, comme des dentelles, de merveilleuses sculptures d'ébène ; mais ce papier de riz est déchiré, crevé de toutes parts, laissant passer sur nous les souffles mortellement froids de la nuit. Nos pieds gelés posent sur des tapis impériaux, jaunes, à haute laine, où s'enroulent des dragons à cinq griffes.... Des trônes, des monstres, des choses sans âge et sans prix. Et, nous sommes là, nous inélégants, pleins de poussière...  L'air de grossiers barbares, installés en intrus chez des fées. (p.113) 

  • Voici ce cortège , qui débouche là-bas des vieilles portes croulantes, avec des emblèmes rouges, des musiques, et s'avance dans les champs désolés... Les gongs commencent de sonner lugubrement, à coups espacés comme pour un glas, tandis que les hérauts, par de longs cris, annoncent mon arrivée aux habitants de la ville.(p.255-256)

Denyse dans 01 - LIVRES - REVUES - Résumés, extraits...2016-2024 - Lu 348 fois - Version imprimable
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