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Les moines ont-ils un avenir ? Armand VEILLEUX

 Les moines ont-ils un avenir ?
Armand VEILLEUX, moine cistercien trappiste

Petite bibliothèque monastique Salvator, 2014
139 p.

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 Armand Veilleux est actuellement Père Abbé de l’Abbaye de Scourmont (Chimay) en Belgique. Il est chargé également de faire le lien entre son Ordre et les communautés de laïcs cisterciens** qui sont actuellement en expansion et porteurs eux aussi d’une espérance nouvelle .

 Recension et commentaires personnels

 A travers une série de conférences* qui sont partiellement reprises dans ce livre, le Père Armand Veilleux, qui s’adresse en priorité aux communautés monastiques (mais on verra que cela nous interpelle tous)  pose une question cruciale en lien avec celle de l’avenir de l’Eglise dans le monde d’aujourd’hui, bien que la vocation monastique ait des caractéristiques particulières qui peut donner à ses bases une solidité plus grande. Mais fragilité et remise en question des modes de vie et de l’adaptation au monde actuel (ce qui ne veut pas dire compromission) sont des réalités incontournables. Depuis plusieurs années, maintes rencontres ont eu lieu pour considérer l’état des lieux et des personnes, au cas par cas, tout comme dans nos paroisses, l’avenir reste incertain quant au renouvellement des prêtres et des équipes animatrices.

«  Nos chapitre généraux, avec beaucoup de techniques et des tonnes de paperasse, n’ont pas toujours apportés les fruits escomptés. » (p.21)

 Il est fort utile, grâce à ce petit livre notamment, de regarder la réalité en face sans pour autant desésespérer et je peux dire que les arguments d’Armand Veilleux m’ont déjà été fort utiles pour répondre à la vision très noire de certains chrétiens . On vient de vivre ces jours derniers (20 mars 2015) une éclipse de soleil où soudain les couleurs grisaillent et les oiseaux se taisent. Notre espérance chrétienne de 2015 aurait-elle une couleur d’éclipse ?

         *   
                                                        © DG  


Nos préoccupations sont-elles d’abord dans notre fonctionnement interne qui voudrait bien garder les couleurs du passé ou devons-nous en priorité nous interroger sur l’intégration de l’Eglise dans la vie du monde d’aujourd’hui, en particulier auprès des plus pauvres,  sans pour autant abandonner la source qui la fait vivre ? Gardons-nous d’abord le « souci d’évangéliser » et de « rejoindre les foules nombreuses qui se situent désormais en-dehors de tous les circuits ecclésiaux » ? (p.45).

Et la présence du chrétien, cela va de soi, n’est pas requise exclusivement dans les milieux d’Eglise . « Il est important qu’ils soient présents dans tous les grands projets collectifs qui s’élaborent autour d’eux» (p.56). Ceci n’est pas une nouveauté, Jean XXIII le soulignait déjà lors de Vatican II (à l’époque, c’était pourtant osé !) , mais cette mission devient désormais plus qu’urgente.

Peut-être, en fait, y a-t-il de quoi se réjouir non d’une crise générale mais d’un renouvellement possible faisant confiance en un avenir qui ne se fera pas sans nous, même si nous n’y voyons pas très clair pour l’instant.

Ce que souligne à plusieurs reprises l’auteur, c’est que nous sommes à une période charnière où chacun ne travaille plus pour soi (même si la Charte de Charité du 12°s. était tout de même déjà très  innovante et prophétique !)  mais « bien à la création de grands réseaux intégrés de solidarité entre chrétiens de tous états. » (p.32).  Nous vivons en « communautés de cheminement » (p.53). Nous nous efforçons de vivre (peut-être enfin) vraiment en communion.

                        *  

Les efforts actuels du dialogue interreligieux, après un creux de vague récent, nous le manifestent aussi. Les évènements dramatiques de ces derniers mois en accusent encore davantage l’importance et la nécessité vitale. « Les valeurs chrétiennes étaient les valeurs de référence » (p.88). Cet effort de dialogue nous fait même aller bien au-delà d’un dialogue interreligieux qui reste affaires d’églises même si, à ce niveau à priori fraternel, rien n’est facile et  beaucoup reste à œuvrer.

Nous avons à dialoguer dans un « monde pluraliste » où la discrétion et l’efficacité chrétienne peuvent être de puissants leviers .

On est bien d’ailleurs dans l’esprit de la société actuelle avec ses nouvelles communautés de communes, ses regroupements de régions. Sauf peut-être que là les motivations sont surtout financières. On n’évitera pas la guerre des chefs et du pouvoir mais on voit aussi  de belles réalisations par cette fédération des forces et des moyens .

 « Toutes les grandes périodes de mutation au cours de l’histoire ont été pour l’Eglise des périodes de remise en question, de désarroi, mais aussi de créativité. » (p.37)

On découvre aujourd’hui qu’au-delà des croyances, c’est l’expérience qui peut rapprocher et aider au dialogue et au partage. Le « jardin de pierre » de l’abbaye d’Orval importé du bouddhisme en est un humble témoignage silencieux agissant dans les cœurs de ceux qui s’y (re) posent.

Façons différentes de dire l’indicible et l’ineffable.(p.94)

 Le livre de Armand Veilleux se termine en quelque sorte par un retour à la source qu’est la lectio divina  qui ne peut être bénéfique et agissante que si elle « imprègne toute notre journée » (p.106), y développant tous les aspects d’une vie de communion (p.107). C’est ce que le monachisme primitif appelait déjà, selon les paroles de Jésus : « Prier sans cesse »..
On connaît la proximité et l’attachement de l’Abbé de Scourmont pour Tibhirine et ses moines cisterciens qui ont donné leur vie par amour  pour leurs frères musulmans. Et jusqu’au bout. « Amour sans mesure » disait saint Bernard. L’amour véritable, pour Dieu, pour son conjoint, pour ses enfants, pour ses frères ne s’accomode guère de demi-mesures. C’est d’abord et avant tout une joie que ce « jusqu’auboutisme », tout comme l’est la radicalité amoureuse du moine mais cela a ses exigences et  peut devenir aussi crucifiant.

 « Si nous désirons la vraie vie et connaître des jours heureux » (Prologue de la Règle de saint Benoît, en lien avec le Ps 33)  alors,  que Dieu demeure au cœur de nos vies est fondamental. Le reste suivra… L’Evangile n’est-il pas une suite déconcertante d’évènements souvent imprévisibles, dérangeants souvent, qui mènent pourtant aux Béatitudes et à la Vie Eternelle, même si la croix est incontournable ?  Mais laisserons-nous nos cœurs se convertir à le venue du Seigneur aujourd’hui ?

 « Le vrai prophète est celui qui n’entre pas dans l’avenir à reculons, mais celui comme Abraham , qui va toujours de l’avant d’un pas assuré, même s’il ne sait pas exactement où le conduit le Seigneur. » (p.51)

 D.G
23.03.2015

*
© Denyse Guerber

 1973 et 1976 à Montréal -  2003  et 2005 en Belgique - 2011 Centre Sèvres à Paris

 Extraits complémentaires.

                     *    
                     
       D'après enluminure XII°s. de l'abbaye de Cîteaux
                                  ( réalisation personnelle)

 - Jésus a conscience d’être le Fils même de Dieu, de vivre dans une communion totale avec Dieu son Père, dans l’unité du même Esprit et [désire] nous apprendre à vivre de cette même communion et de cette même vie. Evangéliser, c’est alors aider chaque homme d’abord à vivre ce qu’il perçoit des béatitudes et à partir de cela découvrir le reste. (p.42)

 - Les religieux ont un rôle [de prophète] tout spécial à jouer : celui d’être non pas ou en tous cas non seulement les gardiens de structrures existantes, mais les constructeurs prophétiques d’un monde nouveau. » (p.50)

Mais n’est-ce pas la mission de tout chrétien ?.  « Fidélité créative » que le document « Exordium » des années 2000 mettait déjà bien en valeur.

 - Pour Jésus, le centre de gravité n’était plus l’activité rituelle mais bien la qualité de la vie quotidienne. » (p.74)Pour beaucoup d’authentiques chrétiens de nos jours, la « pratique » religieuse consiste avant tout à incarner dans leur vie de tous les jours les exigences de l’Evangile.(p.75)

 - Le sens premier du mot « moine » est non pas celui qui vit seul, mais celui qui n’a qu’un but, qu’une fin, qu’un amour dans la vie. Plus une personne est une et unifiée, plus elle put entrer en relation avec Dieu, plus elle peut entrer aussi en relation avec toutes les autres personnes, quelles que soient leurs idées, leurs conictions religieuses, leurs tendances philosophiques et sociales… Le pluralisme politique consiste dans le fait de vouloir arriver à la même fin du bien-être commun en utilisant des moyens et des systèmes sociaux différents.  (p.91)

 ** Depuis une vingtaine d’années un mouvement de plus en plus fort de laïcs demandent à être associés à nos communautés. Ce n’est pas du tout un mouvement que nous avons provoqué nous-mêms à cause du manque de vocation. Au contraire, ce mouvement est venu de laïcs et beaucoup de communautés y ont été plutôt réticentes dans un premier temps… Ces laïcs ne désirent pas simplement une pieuse association à une communauté religieuse. Ce ne sont plus des personnes voulant aider des communautés dans le besoin. Ce sont plutôt des personnes, hommes et femmes, personnes mariées et célibataires, qui se sont reconnues spirituellement dans le charisme spirituel de nos communautés, qui ne prétendent pas jouer au moine ou à la moniale, mais désirent incarner dans leur vie – aussi bien familiale que professionnelle- les valeurs qu’ils ont découvertes dans notre spiritualité. Je suis convaincu que l’Esprit-Saint est en train de donner une nouvelle expression au charisme cistercien. (p.77)…

Il nous faut [en tant que moines] accueillir avec reconnaissance tout ce qu’elles apportent de vie nouvelle ; mais exerçant aussi à leur égard, si elles l’acceptent, le rôle de témoin d’une longue tradition. (p.78)

 

Mise à jour : Jeudi 16 Mars 2023, 13:17
Denyse dans 04 - SPIRITUALITE CISTERCIENNE - Lu 1411 fois - Version imprimable
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