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Lundi 12 Février 2024

Sermon de Carême - Saint Bernard de Clairvaux

 

Bernard de Clairvaux

Premier sermon pour le carême (extraits)


Nous entrons aujourd'hui, mes bien-aimés, dans le saint temps du carême, dans le temps destiné aux combats du chrétien, car les observances du carême ne sont pas faites pour nous seulement, elles le sont pour tous ceux qui nous sont unis par les liens de la foi. Après tout, pourquoi le jeûne du Christ ne serait-il pas commun à tous les chrétiens ? Pourquoi les membres ne suivraient-ils point leur chef ? Si nous recevons les biens des mains de ce chef, pourquoi n'en accepterions-nous point aussi les maux ? Voudrions-nous donc n'avoir de commun avec lui que ce qui est agréable, mais non  ce qui est triste et pénible ?
S'il en est ainsi, nous montrions que nous sommes des membres indignes d'une pareille tête. En effet, tout ce qu'il souffre, c'est pour nous qu'il l'endure. S'il nous en coûte trop de travailler avec lui à l'oeuvre de notre salut, en quoi pourrions-nous après cela unir nos œuvres aux siennes. Il n'y a pas grand mérite de jeûner avec Jésus-Christ quand on doit s'asseoir avec lui à la table de son Père, et il n'y a rien de bien surprenant que le membre souffre avec la tête, quand il doit être glorifié avec elle. Heureux le membre qui aura en toutes choses adhéré à la tête, et qui l'aura suivie partout où elle sera allée.

 

Mise à jour : Mercredi 17 Avril 2024, 16:40
Denyse - rubrique 05 - Saint BERNARD de CLAIRVAUX - Face à la mort - Le traité de l'amour de Dieu- La grâce et le libre arbitre - Version imprimable - Permalien - 0 commentaires

Vendredi 20 Mai 2022

Traité de l'Amour de Dieu

     L’Amour de Dieu

Saint BERNARD de CLAIRVAUX

(vers 1132-1135)

Extraits choisis -  © D.G -

     

 L’amour de Dieu … Voilà en effet le sujet le plus doux à goûter, le plus sûr à traiter et le plus utile à écouter…

1. Vous voulez apprendre de moi pourquoi et dans quelle mesure il faut aimer Dieu. Je vous réponds : la cause de notre amour de Dieu, c’est Dieu même ; la mesure, c’est de l’aimer sans mesure…

Il y a deux raisons d’aimer Dieu pour lui-même : d’abord parce que l’on ne peut rien aimer avec plus de justice ; ensuite parce que l’on ne peut rien aimer avec plus d’avantage...

Si donc, quand on cherche pourquoi aimer Dieu, on cherche son mérite, voilà le principal : Il nous a aimés le premier.
(1 Jn 4,10)

2.Dieu accorde aux hommes ... des bienfaits innombrables ... : le pain, le soleil et l'air. Je dis les principaux, en raison non de leur supériorité, mais de leur nécessité; car ils concernent le corps.
L'homme doit chercher ses biens les plus hauts en cette part de lui-même par laquelle l'homme dépasse l'homme, c'est-à-dire en son âme. Ces biens sont la dignité, la science et la vertu...
J'appelle vertu le fait qu'il en vienne à rechercher sans paresse celui dont il tient son existence et à s'attacher fortement à lui après l'avoir trouvé.

                        © D.G

 Triple grandeur de l’homme.

L’homme doit chercher ses biens les plus hauts en cette part de lui-même par laquelle l’homme dépasse l’homme, c’est-à-dire en son âme. Ces biens sont la dignité, la science et la vertu… J’appelle vertu le fait qu’il en vienne à rechercher sans paresse celui dont il tient son existence et à s’attacher fortement à lui après l’avoir trouvé.      
                       
          
 © D.G         

  Grandeur reçue de Dieu.

Quelle gloire y a-t-il à possèder un bien sans savoir qu’on le possède ? … Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? (1Co4,7) « Celui qui se glorifie, qu’il se glorifie dans le Seigneur »(1Co1,31), c’est-à-dire dans la vérité. Car « le Seigneur est vérité » (Jn 14,6).

4. Trois fautes à éviter

Il te faut savoir d’une part ce que tu es, et d’autre part ce que tu  ne l’es pas par toi-même ; tu éviteras ainsi ou de ne pas te glorifier du tout, ou de te glorifier vainement…
Il faut éviter avec grand soin cette ignorance qui nous ravalerait à nos propres yeux ; mais il faut se méfier tout autant, et même plus encore, de l’ignorance par laquelle nous nous surestimons…

[Plus grave encore est de] rechercher sa propre gloire à partir de biens qui ne sont pas à soi … Commis sciemment, c’est une usurpation au détriment de Dieu.

                              
© D.G

5. Quel homme, même sans la foi, peut ignorer que dans cette vie mortelle les biens nécessaires à son corps pour subsister, pour voir et pour respirer, ne lui sont fournis que par celui « qui donne la nourriture à toute chair » (Ps 135,25), « celui qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et qui fait pleuvoir sur les justes et les injustes » (Mt 5,45)

7 – Au souvenir de ce verset : « Ma chair a refleuri, et de tout cœur je le célébrerai » (Ps27,7), elle désire joindre aux grenades de la passion, qu’elle a cueillies à l’arbre de la croix, les fleurs de la Résurrection, surtout pour que leur parfum engage son époux à revenir la voir plus fréquemment.

 Concentré extrême  du Cantique des cantiques , où à ses termes symboliques  se mêle admirablement la vie de Jésus

                                   © D.G

  8. Jésus réside volontiers, il réside assidûment en un lieu où la grâce de sa passion et la gloire de sa résurrection sont l’objet d’une méditation assidue.

  9. « Le Christ meurt pour nos péchés, il ressuscite pour notre justification » (Rm4,25), il monte au ciel pour notre protection, il envoie l’Esprit (Jn16,7) « pour notre réconfort » (Ac 9,31), et il reviendra un jour (Ac1,11) pour parachever notre salut. Dans sa mort, il a montré sa miséricorde, dans sa résurrection, sa puissance.

 10. Le réconfort de la mémoire
 
Le réconfort de la mémoire ne manquera pas aux élus auxquels n’est pas encore accordé le rassasiement complet de la présence…  « La mémoire est donc le lot des générations qui se succèdent » (Ps 144,4) ; la présence celui du Royaume des cieux…

 11 - « J’ai gardé la mémoire de Dieu et j’y ai trouvé ma joie » (Ps 76,4)…
Ceux qui cherchent la présence de Dieu et soupirent après elle ont à leur portée en cette vie sa douce mémoire, non pas cependant pour en être rassasiés, mais pour que soit aiguisé leur appétit de la nourriture qui peut les rassasier. (Mt 5,6)

 Et c’est non sans une même ardeur que Bernard plaint ceux qui s’écartent de la foi , aveuglés par les tentations du monde. Ce chapître 11 est remarquable et à méditer car ne croyons pas que notre posture par rapport à Dieu soit toujours parfaite. Saint Pierre le croyait et pourtant n’a-t-il pas renié Jésus trois fois ? On remarque une fois de plus que la parole de Bernard est étroitement tissée de citations bibliques.

 Malheur à toi « peuple stupide et insensé » (Deut.32,5-6), toi qui n’as pas envie de la mémoire et redoutes la présence … « Ô parole amère, ô langage dur » (Jn6,61) : « Allez maudits au feu éternel ! » (Mt25,41)… Beaucoup de gens « s’écartent vivement » de cette voix et « ils s’en retournent en arrière » (Jn6, 67)  « Cette parole est dure, qui peut l’écouter ? » (Jn6,61). C’est pourquoi la génération qui a manqué de droiture de cœur et dont l’esprit infidèle à Dieu préfère placer « son espérance dans des richesses incertaines » (1 Tim6,17) ne supporte pas d’entendre « parler de croix » (1Co1,10) et la mémoire de la passion lui semble trop lourde à porter…

                          
                         
 Biarritz © D.G

Saint Bernard compare ensuite la situation au terme de leurs vies de ceux « qui s’efforcent de plaire à Dieu » : « Quant à la génération des hommes droits, elle sera bénie. » (Ps111,2), « Venez les bénis de mon Père », et de ceux, « misérables esclaves » de Satan, qui ont manqué de droiture du cœur.

 12 -  Fidélité et bonheur de l’épouse du Christ

            
            Abbaye d'Orval   
© D.G      

 L’âme fidèle soupire avec ardeur après la présence et repose avec douceur dans la mémoire ; jusqu’au moment où elle se trouve en état de « contempler à visage découvert la gloire de Dieu. » (2Co 3,18)

 Saint Bernard, comme les Evangélistes d’ailleurs, nous aide à saisir cette dualité qui nous constitue en profondeur : La terre/le ciel , amour du prochain/amour de Dieu, la vie présente/la vie éternelle. L’un ne va pas sans l’autre et conditionne notre « repos » en Dieu.

 C’est vraiment ainsi que l’épouse du Christ, sa colombe (Ct 5,2), trouve pour elle en cette vie le repos, et « elle dort entre les deux héritages ». (Ps 67,14)

                           Resterez-vous au repos derrière vos murs
              quand les ailes de la colombe se couvrent d’argent,
              et son plumage de flammes d’or …. ?

13 -  Immensité de l’amour du Dieu-Trinité

         
         La Trinité -
         Caen – Abbatiale de l’Abbaye aux Dames 
© D.G

… Une miséricorde si grande et tellement imméritée, un amour si gratuit et prouvé de la sorte, une considération tellement inattendue, une bienveillance à ce point invincible, une douceur si étonnante…

Dieu aime, et il aime de tout lui-même, car c’est toute la Trinité qui aime, si pourtant on peut parler de « tout », à propos d’un sujet infini, incompréhensible ou, de toute manière, simple.

14 - Les bienfaits de Dieu, créateur et sauveur

              

             L’agneau pascal – 
            Rouen – Porte du Gros horloge  
© D.G

Il n’y a pas à s’étonner que l’incroyant, en raison d’une moindre connaissance de Dieu, lui montre moins d’amour… Alors qu’en sera-t-il pour moi qui considère mon Dieu non seulement comme celui qui m’a donné gratuitement la vie, s’en occupe avec largesse, me réconforte avec bonté, me dirige avec sollicitude, mais de plus me rachète aussi avec surabondance, me sauve, me comble et me glorifie pour toujours, comme il est écrit :

 «  Elle est abondante sa rédemption. » (Ps 129,7)

 «  Nous attendons comme Sauveur notre Seigneur Jésus-Christ qui transformera notre corps de misère pour le rendre conforme à son corps de gloire. » (Ph 3,20-21)

 «  Les souffrances de ce temps sont sans comparaison avec la gloire future qui se révèlera en nous. » (Rm 8,18)

 «  Notre épreuve actuelle est provisoire et légère : elle nous prépare, au-delà de toute mesure, un poids éternel de gloire, à nous qui considérons non pas les réalités visibles, mais les invisibles. » (2Co 4, 17-18)

 On peut, une fois encore, remarquer combien les écrits de Bernard s’appuient sur la Parole de Dieu. C’est sa connaissance remarquable des textes bibliques qui assure sa foi, qui en fait la charpente et le cœur. Il n’y a pas, pour nous,  d’autre chemin primordial si nous voulons nourrir notre foi.

Est-ce que j’ai en moi les mêmes convictions que saint Bernard ? 

15 – La reconnaissance de l’amour.
« Que rendrai-je au Seigneur pour tous ses bienfaits ? »
(Ps 115,12)
 
                
                Carmel de Plappeville (Moselle)

La raison et la justice naturelle incitent à se livrer entièrement à celui de qui on tient tout ce qu’on est, et insistent sur le devoir de l’aimer de tout soi-même. Mais la foi me prescrit d’autant plus l’obligation de l’aimer que je comprends mieux qu’il mérite d’être estimé plus que moi-même, mais en plus il s’est donné aussi lui-même…

 Pourquoi l’œuvre n’aimerait-elle point son artisan, si elle a la faculté d’aimer ? Et pourquoi pas de toutes ses forces, puisque sans sa faveur elle ne pourrait rien du tout ?... « Que rendrai-je donc au Seigneur pour tous les bienfaits dont il m’a comblé ? »

16 – Aimer Dieu sans mesure

             

 Passage, ô combien célèbre, qui nous révèle l’intensité de la foi de saint Bernard et la perception qu’il a de l’ amour infini de Dieu.

 « Dieu nous a aimés le premier » (1Jn 4,10), lui si grand, il nous a aimés tellement, gratuitement, des gens si petits. Eh bien ! Pour de tels gens, la mesure d’aimer Dieu, c’est de l’aimer sans mesure. Puisque l’amour qui s’adresse à Dieu s’adresse à l’immensité, à l’infinité – car Dieu est infini et immense – quelle devrait donc être, je te le demande, la limite ou la mesure de notre amour ?

N’oublions pas que notre amour à nous n’est plus un versement gratuit mais le remboursement d’une dette. Nous sommes donc aimés par l’éternité, aimés par « la charité qui surpasse la science » (Eph. 3,19) ; aimés par Dieu « dont la grandeur est sans limite » (Ps 144,3), « dont la sagesse est sans mesure » (Ps 146,5), dont « la paix surpasse toute intelligence » (Ph 4,7; et en échange, nous allons offrir un amour mesuré ?

 « Je t’aimerai, Seigneur, ma force, mon soutien, mon refuge, mon libérateur » (Ps 17,2-3)… « Mon Dieu, mon secours » (Ps 17,3) je t’aimerai pour le don que tu me fais, et à ma mesure, bien au-dessous de ce que je dois, mais non pas certes au-dessous de ce que je peux. Bien que je ne puisse donner autant que je dois, je ne saurais aller au-delà de ce que je peux. Je pourrai davantage quand tu voudras bien me donner plus, jamais cependant autant que tu en es digne.

17 – Aimer Dieu à cause de lui ou pour nous ?

Ce n’est pas sans récompense qu’on aime Dieu, bien qu’on doive se garder de l’aimer en vue d’une récompense. La véritable charité … ne recherche pas son avantage (1Co 13,5). Elle est un attachement non un investissement… Le véritable amour se suffit à lui-même. Il a sa récompense qui n’est autre que l’objet aimé…

Le véritable amour ne recherche pas sa récompense, mais il la mérite. Oui, la récompense on la propose à qui n’aime pas encore, on la doit à qui aime, on l’accorde à qui persévère… Si [l’âme] cherche autre chose, sûrement ce n’est pas Dieu qu’elle aime.

                        

 L’amour pur peut être un but. On peut s’en approcher mais sans doute pas atteindre une totale abnégation. La jeune maman attend le sourire de son nouveau-né, la nouvelle épouse l’élan du cœur de son époux. Ce n’est que justice. Et quelle souffrance qu’un amour qui ne reçoit rien en retour !
Ce n’est donc pas une faiblesse chez l’homme que d’espérer l’amour de Dieu en réponse à sa quête.
Aimer l’autre avant tout pour le bien de celui qui est aimé. Le reste sera donné.
Aimer Dieu pour ce que la foi nous en fait entrevoir. Et donner aux autres, par notre témoignage, le goût de l’aimer aussi.

18 - L’insatiable convoitise humaine

 Nous avons tous très certainement au fond de nous le désir d’atteindre ce qu’il y a de mieux, mais notre liberté nous aveugle et nous perd …

           
              
    Jugement dernier – Conques (Aveyron)

 Quelque soit [la chose] dont on s’assure la possession, on n’en continue pas moins à désirer celles qu’on n’a pas et à soupirer sans répit après celles qui manquent encore. Il arrive ainsi que l’esprit vagabond se fatigue vainement à courir çà et là à travers les amusements variés et mensongers du monde, et s’épuise sans se rassasier…

 Tu prends le mauvais chemin et tu mourras bien avant que cette marche en rond te conduise au but souhaité.

 19 – Les créatures ou leur Créateur ?

 Il est naturel que [les impies] recherchent de quoi apaiser leur désir, mais leur folie est de rejeter avec mépris ce qui les rapprocherait de leur fin : je parle de fin, non pas d’épuisement mais d’achèvement. C’est pourquoi ils se hâtent non pas vers l’achèvement d’une fin bienheureuse, mais vers l’épuisement d’une peine perdue, ceux qui, trouvant leurs délices dans l’apparence des créatures plus que dans leur Créateur, désirent parcourir d’abord l’univers et faire l’expérience de chaque être avant de se soucier de parvenir au Seigneur même de l’univers.

                  

 Nous privilégions souvent un bonheur proche et qui sera peut-être source de soucis et sans fruit (« peine perdue »)  au détriment d’un bonheur qui s’éprouve dans la durée mais en sortira grandi. Saint Bernard parle ici du bonheur en Dieu , bien suprême. Mais ces choix nous les expérimentons souvent dans notre vie quotidienne. C’est humain mais nous sommes appelés à la sainteté.

 « Tu es le Dieu de mon cœur ; ma part, c’est Dieu pour toujours. » Ps 72,26

20 - Soumettre la convoitise au jugement de la raison.

Ceux qui prétendent obtenir la jouissance de tout ce qu'ils désirent, parcourent un long chemin, se donnent beaucoup de peine, mais en vain, et ne peuvent jamais obtenir la satisfaction de toutes leurs prétentions... "Vérifiez tout ce qui est bon, retenez-le" (1Th 5)...

 Ceux dont la raison ne précède pas la marche, courent sans doute, mais en-dehors de la route, et par suite, au mépris du conseil de l'Apôtre, "ils ne courent pas de manière à atteindre le but." (1Co 9,24)

21 - Dieu seul peut combler le coeur de l'homme - L'âme qui cherche Dieu

" Qui aime l'argent n'en sera pas rassasié"
(Eccl.5,9); mais "ceux qui ont faim et soif de la justice, eux seront rassasiés (Mt 5,6)... "Mon âme bénit le Seigneur, qui comble de biens ton désir." (Ps 102). Il comble de biens, il incite au bien, il garde dans le bien; il prévient, il soutient, il comble. C'est lui le principe de ton désir, c'est lui l'objet de ton désir.
                                               

22 -  L'âme qui cherche Dieu

 « Tu es bon Seigneur, pour l’âme qui te cherche » (Lam.3, 25). Que sera-ce donc pour celle qui te trouve ? Car voici la merveille : personne n’est capable de te chercher s’il ne t’a d’abord trouvé.

 On retrouve les mêmes propos :

-         chez Saint Augustin – 5ième s. : «  Car on le cherche pour le trouver d’une façon plus douce, et on le trouve pour le chercher avec plus d’avidité encore. »

-         chez Pascal – 17ème s.  : « Console-toi, tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais trouvé » - Pensée 736

                                                   

23 – Les degrés de l’amour

- Premier degré de l’amour : l’homme s’aime pour lui-même.

   ¤ Amour de soi.

       Avant tout, l’homme s’aime lui-même pour lui-même… un fait inhérent à la nature.

« Il ne faut rappeler à personne qu’il doit s’aimer » (St Augustin, note 2 p.118)

   Mais si cet amour naturel se met … à se déverser avec excès… aussitôt l’opposition d’un commandement réprime cet excès en disant : «  Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (Mt 22,39)

     ¤ Amour du prochain.

         Que [l’homme] se permette tout ce qu’il veut à condition de se souvenir de l’obligation d’en accorder tout autant à son prochain… Alors ton amour sera à la fois équilibré et juste… C’est ainsi que l’amour charnel devient aussi social, quand il s’élargit en vue du bien commun.

 24 Au moment où tu partages avec ton prochain, il peut t’arriver de manquer même du nécessaire, alors que feras-tu ? Quoi sinon demander « en toute confiance » (Ac 4,29) « à celui qui donne à tous en abondance et sans reproche » (Jc 1,5), qui « ouvre la main et comble de bénédictions, tout ce qui vit » (Ps144,16) ?

 D’ailleurs, il dit : « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît » (Lc 12,31)

       25 – Aimer Dieu pour soi

 Il faut donc d’abord aimer Dieu pour pouvoir aussi aimer en Dieu le prochain (Mc 12,30-31)
 L’homme animal (1Co 2,14) et charnel, qui ne savait aimer personne en-dehors de lui, commence aussi d’aimer Dieu pour soi parce que, comme il en a fait souvent l’expérience, c’est bien en Dieu qu’il peut tout 
(Ph 4,13)du moins ce qu’il lui est utile de pouvoir – et que « sans Dieu il ne peut rien. » (Jn 15,5)

 On ne peut dire aimer Dieu sans s’aimer soi-même et aimer son prochain. Car « Dieu est l’auteur de tout bien » . Mais que penser des hommes qui aiment leur prochain sans aimer Dieu ? Nous en connaissons tous…

                                                      Abbaye d’Orval   

 26 – Sagesse

    © D.G 

 Il y a une sorte de sagesse à distinguer ce que l’on peut par soi-même et ce que l’on peut avec l’aide de Dieu, et à se garder de s’opposer à celui qui nous garde de tout mal. Mais si les épreuves s’abattent et se multiplient de manière à provoquer de fréquents retours à Dieu et à obtenir de Lui une libération aussi fréquente, ne faut-il pas que cet homme si souvent libéré s’amollisse de reconnaissance pour son libérateur, quand bien même il aurait une poitrine d’airain et « un cœur de pierre » (Ez 11,19), de sorte qu’il en aime Dieu, non plus seulement pour soi-même mais aussi pour Dieu ?

  Pour aimer Dieu de façon désintéressée, le goût de sa douceur constitue désormais un attrait plus fort que la nécessité de son aide… Celui qui rend grâce au Seigneur non parce qu’il est bon pour lui, mais parce qu’il est bon, celui-là aime vraiment Dieu pour Dieu et non pour soi-même… Voilà le troisième degré de l’amour où désormais on aime Dieu pour lui-même.

27 - L'homme s'aime pour Dieu.   

            
                             

 Cet amour est une montagne, et une haute montagne de Dieu. C'est bien "une montagne solide, une montagne fertile " (Ps 67,16). Qui gravira la montagne du Seigneur ? Qui me donnera des ailes de colombe ? Je m'envolerai et me reposerai." (Ps 54,7)

Dieu invisible ... comment l'imaginer ? Saint Bernard voit une haute montagne comme souvent évoquée dans la Bible. Rien à craindre sur cette solide montagne où poussent les bonnes semences. Osons-nous cette ascension ? Belle image aussi de la colombe, Esprit de Dieu, qui nous porte vers les cieux et le repos en Dieu. Si nous  pratiquons un peu la méditation silencieuse, voilà un bon support...                                                               

                                                                                                                                     

 L'extase

Quand [l'] âme se dirigera-t-elle tout entière vers Dieu pour "s'attacher à Dieu et devenir avec lui un seul esprit" (1Co6,17) ?... Se perdre en quelque sorte comme si on n'existait pas, ne plus avoir aucune conscience de soi-même, "être arraché à soi-même" (Ph2,7) et presque réduit à rien, tout cela appartient à la condition de l'homme céleste et non plus à la sensibilité de l'homme terrestre.

Saint Bernard traduit en mots puissants l'union mystique où l'homme ne s'appartient plus mais est tout à Dieu. Sans aucun doute, il parle d'expérience. Il souligne aussi, comme il le fera à de nombreuses reprises dans ses écrits, la fugacité de tels instants dont le priant a à peine le temps de prendre conscience.

"par moments... et pour un instant..."

On effleure à peine, brise légère,  une telle union céleste pour être aussitôt ressaisi par notre humanité et les "nécessités de la chair". 

Voilà [l'homme] obligé de revenir à lui, de retomber dans ses soucis et de s'exclamer à en faire pitié : "Seigneur, je souffre violence; interviens en ma faveur".(Is 38,14)

En méditant ce passage on peut à voir en tête la scène de la transfiguration en présence des disciples Pierre, Jacques et Jean. Scène éblouissante où il leur faudra rapidement revenir sur terre.

                                        

28 - L'amour exclusif de Dieu.

Notre joie ne sera pas tant d'apaiser nos besoins ni d'assurer notre bonheur, que de voir l'accomplissement de sa volonté en nous et par nous. C'est ce que nous demandons chaque jour dans la prière quand nous disons : " Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel " (Mt6,10)

" Quand viendrai-je me présenter devant la face de Dieu ? " (Ps 41,3) Seigneur mon Dieu, "mon coeur t'a dit : Ma face t'a cherché; Seigneur, je rechercherai ta face." (Ps 26,8) Crois-tu que je verrai ton temple saint ?" (Jonas 2,5)

Les psaumes nous offrent les plus belles prières à Dieu qui soient. N'hésitons pas les utiliser. On voit ici la passion et l'impatience du priant à rencontrer son Seigneur. Cherchons nous aussi le Seigneur !

29 - Le poids du corps.

...Il n'est pas possible de recueillir parfaitement en Dieu coeur, âme et forces et de les placer devant sa face, aussi longtemps qu'attentifs à ce frêle  corps accablé de misères et écartelés par lui, ils doivent assurer son service... Elle obtiendra facilement le suprême degré de l'amour quand elle s'élancera dans une course rapide et fervente vers "la joie de son Seigneur" (Mt 25,21), sans qu'aucune séduction charnelle ne la retarde ni qu'aucune importunité ne l'inquiète.

Ne nous laissons pas impressionner, ou plutôt décourager,  par le tempérament de feu de saint Bernard qui s'exprime avec radicalité tant face à nos "misères" que par rapport à la ferveur de sa foi et de son espérance. Mais ce sont aussi de telles personnalités qui nous aident à grandir dans la foi.  Bernard souligne  ici nos moyens limités dont il nous faut prendre conscience mais aussitôt, il nous encourage à courir vers la joie bien au-dessus de toute joie. On peut comprendre le choix radical des moines du Mont Athos (Grèce) par exemple, qui ont choisi de s'écarter du monde et de ses richesses pour consacrer leur vie à Dieu. C'est un chemin de foi parmi bien d'autres. A chacun sa vocation.

                

 30 -  L'importance du corps

Pour l'âme qui aime Dieu, son corps a de la valeur dans sa faiblesse, il en a après sa mort, il en a après sa résurrection. Dans le premier cas, il contribue au fruit de la pénitence (Mt 3,8); dans le second au repos; dans le dernier à son achèvement. C'est à bon droit que cette âme ne veut pas trouver sa perfection sans le corps, car elle comprend qu'en chacun de ces états il est à son service pour le bien.

On est bien loin du mépris du corps revendiqué à certaines périodes par l'Eglise. Corps et âme font un tout, de même que terre et ciel sont liés. Notre temps sur terre a toute sa valeur et son importance, même si nos "oeuvres" ne sont que peu de chose par rapport à la grâce de Dieu. De même  le temps du carême, coïncidant avec la venue du printemps, nous prépare à la fête de Pâques. Etre un dans le Christ, c'est non seulement nous ajuster à lui mais c'est aussi rendre notre vie cohérente : je fais ce que je dis, je vis ce que je crois.

32 - Le triple banquet de la sagesse.

Saint Bernard prend l'image du pain gagné "à la sueur de son front" (Gn3, 19) et celle du vin ,vin de l'amour bu après avoir mangé mais pas encore tout à fait pur, dilué "avec mon lait" dit la bien-aimée du Cantique.(5,1). L'âme enfin entrera toute entière en Dieu. 
                 

                         
 
Alors seulement elle est admise à la coupe de la Sagesse, dont on lit : "Comme elle est merveilleuse la coupe qui m'enivre !" (Ps22,5). pourquoi s'étonner désormais "qu'elle énivre à l'abondance de la maison de DIeu" (Ps 35,9), quand libérée de tout souci desoi,"elle boit", en toute sécurité, "le vin nouveau, sans mélange, avec le Christ "dans la maison de son Père " ? (Mt 26,29

 33C’est la Sagesse qui donne ce triple festin, où elle ne sert que les mets de la charité : elle nourrit ceux qui peinent, elle fait boire ceux qui reposent, elle enivre ceux qui règnent… On ne s’aime plus soi-même que par amour de lui, de sorte qu’il soit la récompense de ceux qui l’aiment, la récompense éternelle de ceux qui l’aiment éternellement. 


Les mots de saint Bernard sont très forts comme le sont ceux de toute passion. Et il n’y a pour lui rien de plus grand que l’amour de Dieu.

Pour achever ces méditations sur l’amour de Dieu, saint Bernard se souvient d’une lettre qu’il a adressée « aux saints frères de Chartreuse » (vers les années 1124-1125), sur le thème de la charité

34 – La vraie charité

On doit considérer comme charité véritable et sincère, comme « charité émanant d’un cœur pur, d’une conscience droite et d’une foi solide (1Tim 1,5), cette charité-là qui nous fait aimer le bien du prochain autant que le nôtre. Car celui qui préfère son avantage, ou qui même ne cherche que cela, donne la preuve de ne pas aimer chastement le bien, puisqu’il l’aime précisément pour soi-même et non pour le bien.

Esclave, mercenaire, fils ? Saint Bernard compare ensuite l’attitude humaine à trois types possibles . Celle de l’esclave qui craint pour soi, celle du mercenaire qui pense à soi. Ces deux-ci étant égocentriques ; ils agissent pour eux-mêmes et le fond de leur cœur n’en sera pas changé. Peur et convoitise sont des chaînes.

C’est la charité [sans tache] qui convertit les âmes et les fait agir de plein gré.

35 – La charité, loi du Seigneur

 … Tout son avoir est à Dieu… La loi sans tache du Seigneur c’est « la charité qui cherche non pas ce qui lui est utile, mais ce qui l’est au bien commun » (1Co 10,33).

Ne nous leurrons pas sur nous-mêmes. Il est bon d’être charitable mais je dois être au clair avec mes motivations. Ma charité est-elle totalement gratuite ou est-ce que j’en tire quelques profits ? (bonne conscience, orgueil…). Est-elle tournée vers moi, vers les autres, vers
Dieu ?
Les expressions "esclave" et "mercenaire" employées par saint Bernard nous semblent peut-être peu nous concerner. Mais... élargissons notre regard à l'actualité ....
Comment envisageons-nous l'avenir de l'Europe : avec incertitude et crainte ? (esclave) ou dans le repli sur nous-mêmes, prêts à tout pour préserver notre identité  (mercenaire) ?
  " Pourtant, un authentique sens de l'unité grandit quand il est possible de réaliser un partage des dons dans le respect de la diversité des pays et des régions." '
(Frère Aloïs, prieur de Taizé, cité dans La Croix du 23 avril 2019)

Quant à la situation actuelle de notre Eglise ? Sommes-nous tombés dans une défaite inéluctable ou entrés courageusement et solidairement  dans une espérance toujours vivante, confiants en la grâce de Dieu qui peut faire toutes choses nouvelles ?


                     
Saint Martin -- Pont-à-Mousson (54) ,église Saint-Martin 
© D.G

     On appelle « charité » à la fois Dieu et le « don de Dieu » (Eph 2,8)… Quand elle désigne celui qui donne, elle signifie la substance ; quand elle désigne le don, elle signifie une qualité. Voilà la loi éternelle qui crée et gouverne l’univers. Car tout sans exception a été fait par elle (Jn 1,3) « avec poids, mesure et nombre ». (Sg11, 21)  

La charité ou amour  place l’homme dans le domaine de la grâce divine et du salut. Dieu est amour, Dieu est charité et il a créé l’homme avec ce don, cette capacité à exprimer un amour désintéressé et bienveillant. Nous devenons ainsi participants à l’amour de Dieu qui va se manifester en de multiples réalités spirituelles (foi, espérance, conversion, justice…). Il nous faut bien évidemment accepter nos limites humaines tout en cherchant un accomplissement toujours plus grand. Ce perfectionnement que nous recherchons pour nous-mêmes est inséparable  de l’amour du prochain  (ou charité fraternelle)  qui ne doit pas se résumer à un devoir mais devenir un élan naturel et profond qui nous vient précisément du don de Dieu mis en nous.  (cf. Petit dictionnaire de théologie catholique – K. Rahner)                       

Cette conviction fondamentale que tout vient de Dieu ne nous est pas naturelle tant nous croyons en nos propres forces (ou en notre incapacité). Il nous faut davantage prier Dieu, mieux le connaître et mieux l’aimer pour saisir un peu à quel point nous lui sommes redevables. La lecture de la Parole de Dieu et la méditation quotidienne, l’Eucharistie devraient être notre nourriture comme l’eau et le pain.

36 – La loi de l’esclave et celle du mercenaire.

Selon saint Bernard, l’esclave n’aime pas Dieu et le mercenaire « aime davantage autre chose que Dieu ». Ce qui est impressionnant chez Bernard, c’est sa conviction que quelques soient nos pensées et nos actions, nous sommes « assujettis à la loi du Seigneur ». Même si notre vie est en contradiction avec Dieu, nous sommes dépendants de la loi divine.

L’éternelle justice divine veut que quiconque ne s’abandonne pas à la douce conduite de Dieu, subisse le châtiment d’être livré à sa propre conduite… et il n’a pas pu demeurer avec Dieu dans sa lumière, dans son repos, dans sa gloire…

« N’ayez de dette envers personne, sinon celle de l’amour mutuel » (Rm13,8). Ceux-là sans aucun doute « vivent en ce monde comme Dieu est » (1Jn4,17) : ce ne sont ni des esclaves, ni des mercenaires, ce sont des fils.

37Loi des fils

« Ce n’est pas pour les justes que la loi a été instituée (1Tim 1,9), c’est-à-dire qu’elle ne leur a pas été imposée contre leur gré, mais proposée à leur liberté avec autant de civilité qu’elle était inspirée par la douceur.

38 Ainsi la charité est une loi de bonté et de douceur.

Pendant des siècles, la loi de Dieu fut présentée aux chrétiens comme une épée suspendue au-dessus de leur tête, tels les péchés qualifiés de « mortels ». Si tu n’obéis pas à Dieu, tu iras en enfer. … Ici, où sont la liberté et la douceur ? Où est l’amour de Dieu ?

La loi de Dieu n’est en aucun cas « imposée », mais elle est « proposée » comme le souligne saint Bernard. Cette liberté que nous revendiquons aujourd’hui est évidemment à double tranchant. Elle me rend responsable de mes choix et de mes défaillances.

L’amour d’un père, d’une mère pour ses enfants peut se manifester parfois par certaines exigences mais c’est pour un bien. Si la confiance est là entre les uns et les autres, les exigences apparaîtront comme normales, juste retour d’un amour partagé.  Nous passons tous par les temps rebelles de l’adolescence mais la maturité venant, nous rendrons grâce d’être ainsi aimés.

                    
                                   La Cène – Abbaye de Tamié

 39 – Les quatre degrés de l’amour                                   

Saint Bernard résume ici, magnifiquement, dans ce passage, les étapes vers l’amour de Dieu. C’est très certainement aussi le cheminement, par l’expérience, qu’il en a eu. C’est la doctrine qu’enseigne Bernard.  Lui-même ne se sent pas pour autant arrivé au but : « Pour moi, je l’avoue, cela me semble impossible ».
Ceci dit l’expérience spirituelle et son évolution n’e sont pas toujours aussi tranchées et progressives. Plus que d’étapes ou de degrés, les propos de Bernard  mettent en évidence de quoi est tissé l’amour de Dieu. Dans notre vie personnelle, reconnaissons-nous ces cinq degrés qui peuvent certains jours nous apparaître infimes et d’autres éblouissants.

 « Puisque nous sommes charnels (Rm7,14)  et que nous naissons du désir  de la chair, il est inévitable que notre convoitise ou notre amour « commence par la chair »…. Car ce qui paraît en premier lieu, ce n’est pas l’être spirituel, mais l’être animal ; le spirituel ne vient qu’ensuite » (1Co 15,46). Et il faut que nous portions d’abord l’image de l’homme terrestre, puis celle de l’homme céleste (1Co 15, 49) . Donc, en premier lieu l’homme s’aime lui-même pour lui-même : il est chair et il ne peut rien goûter en-dehors de lui-même. Quand il voit qu’il ne peut subsister par lui-même, il commence à chercher Dieu par la foi (He 11,6). Et à l’aimer, comprenant que Dieu lui est nécessaire. Ainsi, dans ce second degré, l’homme aime Dieu, mais pour soi-même et non pour Dieu. Cependant, une fois que, par intérêt, il a commencé à le vénérer et à le fréquenter par la méditation, la lecture, la prière, l’obéissance, il entre dans sa familiarité ; peu à peu et graduellement Dieu se fait connaître et ensuite il communique la douceur de sa présence. Ainsi, pour avoir goûté combien le Seigneur est doux (Ps33,9), l’homme passe au troisième degré de sorte qu’il aime Dieu non plus pour soi-même mais pour Dieu. Bien sûr, on reste longtemps à ce degré, et je ne sais si un homme en cette vie arrive à atteindre parfaitement le quatrième degré, celui où l’homme s’aime uniquement pour Dieu.

40 – Le filet de la charité

 Saint Bernard utilise ici l’image des pêcheurs qui pêchent toutes sortes de poissons mais qui ne garderont que les bons. On peut se demander qui sont les « mauvais poissons ». En fait, le projet divin se place à un tout autre niveau qui devrait être celui de notre propre charité.

 La charité accueille en elle le malheur et le bonheur de tous ; et les faisant siens en quelque sorte, elle a pour habitude non seulement de « se réjouir avec ceux qui se réjouissent », mais aussi de « pleurer avec ceux qui pleurent ». [Dès qu’il parviendra au rivage, le filet de la charité] rejettera comme de mauvais poissons toutes les tristesses qu’elle a endurées, pour garder uniquement ce qui pourra plaire et être agréable

                                                                     

La joie parfaite

 Saint Bernard n’aborde pas ici avec précision la question de l’enfer sans le nier. Mais la joie parfaite des bienheureux est telle qu’elle n’envisage même plus la notion de miséricorde. La notion d’enfer s’efface.

 «  Chez toi, la demeure de ceux qui sont dans la joie ». (Ps 86,7)

 «  Leur joie sera éternelle ».(Is 61, 7)

                                                                       

DG -  © D.G

 

Mise à jour : Mercredi 16 Août 2023, 17:17
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La Grâce et le libre arbitre

 LA GRÂCE ET LE LIBRE ARBITRE

Saint Bernard de Clairvaux
Ed. du Cerf, 2010

                                   

La composition du Traité de «  La Grâce et du libre arbitre » serait à situer avant 1128. Dans le cadre d'un enseignement à des moines, Bernard se révèle théologien de grande classe au sujet d'un problème qui tourmente la conscience chrétienne occidentale depuis les luttes du 4°siècle où à cette époque saint Augustin est l'un des premiers à réfléchir sur le concept de libre arbitre (= volonté libre – non contrainte) et sur l'idée que -peut-être- nous serions manipulés par Dieu décidant de tout.

Pour Bernard, les deux réalités – grâce et libre arbitre – ne sont pas à opposer : plus l'on reconnaît son rôle à la grâce de Dieu, plus on magnifie la liberté de l'homme.

L'ensemble de ce texte de saint Bernard est assez difficile à comprendre et les arguments parfois subtils. Mais il mérite cet effort de lecture car en fait le sujet est pour nous aujourd'hui d'une grande actualité. La défense de nos libertés est sur toutes les banderoles des manifestations  et protestations actuelles. Mais quelle liberté ?

                                         
                                        Saint Augustin , portrait – Botticelli (1480)

Est proposée sur ce blog, une lecture continue mais avec un texte légèrement simplifié donc plus accessible.

                              * * *
I – 

La grâce de Dieu est en moi et c'est un grand bien ; elle me fait progresser, je le sens. Et c'est bien d'elle que j'espère la perfection.
- C'est donc Dieu qui fait tout ? me demanda un ami. Alors quelle récompense espères-tu ? Si Dieu a tout initié en toi, ne te montre pas ingrat et vis de manière à mériter d'autres bienfaits.
- C'est un bon conseil mais il n'est pas toujours facile de savoir ce qu'il faut faire. Et même si on pense le savoir, il faut pouvoir le mettre en pratique. Tu peux, par exemple, montrer le chemin à quelqu'un mais tu ne pourras pas l'empêcher de défaillir en route.
Pour moi, deux choses sont nécessaires : être enseigné et être aidé. « L'Esprit vient en aide à notre faiblesse. » (Romains 8,26). Si tu me donnes un conseil, je ne doute pas que l'Esprit viendra à notre secours à travers ton conseil mais aussi dans ma mise en pratique.
Je vois donc que, par la grâce de Dieu, « vouloir est à ma portée, mais je ne trouve pas le moyen d'accomplir. » (Romains 7,18). Et je ne suis même pas sûr d'y parvenir un jour ! A moins que Dieu qui m'a donné « de vouloir ne me donne aussi d'accomplir » le projet bienveillant qu'il a sur moi. (Philippiens 2,13)
- Si c'est ainsi, où sont donc nos mérites et où est notre espérance ?
- Ecoute, ce n'est pas par nos œuvres que nous serons sauvés, mais selon la miséricorde de Dieu (Tite 3,5). Comment oses-tu penser te sauver par toi-même ? As-tu donc oublié qui a dit : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire. » (Jean 15,5) ?
Tu peux vouloir, tu peux courir, mais seul Dieu fait miséricorde. (Romains 9,16)

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Le terme « miséricorde » signifie la « bonté par laquelle Dieu pardonne aux hommes », «la  vertu qui porte à soulager les misères d'autrui »

La miséricorde peut signifier, par extension, une « générosité entraînant le pardon, l'indulgence pour un coupable, un vaincu »

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                         Coran - Sourate 55 - Le Tout-Miséricordieux

2 - 

- Que fait donc le libre arbitre ?

    Il est sauvé. L'oeuvre du salut ne peut se réaliser sans l'intervention de la grâce. Et le libre arbitre est ce pourquoi elle agit. Dieu est bien l'auteur du salut et le libre arbitre en est l'objet. Donné par Dieu seul au seul libre arbitre, le salut ne peut pas plus exister sans le consentement de celui qui reçoit que dans la grâce de celui qui donne. Il y a coopération entre la grâce et le libre arbitre. Et, consentir à cette grâce, c'est être sauvé.

    Ce que ne peut vivre un animal car il lui manque le consentement volontaire à se soumettre à un sauveur.

Le consentement volontaire est une chose, l'appétit naturel une autre. Ce dernier nous est commun avec les êtres sans raison [et se référerait surtout à l'instinct] à la « sagesse de la chair » comme le dit saint Paul (Romains 8,7), qui elle, n'est pas soumise à la loi de Dieu.

Le consentement volontaire est par contre une disposition de l'esprit qui ne nous fait pas seulement agir mais choisir entre le bien ou le mal. Il est le fait de la volonté non de la contrainte. Si on le force, il n'est plus volontaire. Et là où il n'y a pas de volonté, il n'y a pas de consentement.

Donc, où il y a volonté, il y a liberté. Voilà pourquoi, je pense, on l'appelle libre arbitre.

3 -

La vie et le sens, l'appétit et le consentement ne sont pas la même chose.

 - Le sens est un mouvement vital dans le corps dont l'éveil est aussi extérieur.

 -
L'appétit naturel est une force attribuée au sens, une sorte d'avidité.

 - Le consentement est un acquiescement spontané de la volonté, une disposition d'esprit.

 - La volonté est un mouvement rationnel qui commande à la fois au sens et à l'appétit. La volonté a la raison comme compagne sans forcément tenir compte de ses conseils !

[Il y a une sorte de complicité entre volonté et raison mais seule la volonté porte la responsabilité du mal.]

4 -

Or, la raison a été donnée à la volonté pour l'instruire et non pour la détruire. Ce qui serait le cas si elle lui imposait une nécessité, d'où perte de liberté que ce soit vers le mal ou vers le bien. Là où il y a nécessité, il n'y a plus de volonté.
Sans le consentement de la propre volonté, la créature raisonnable ne saurait devenir juste ou injuste. La volonté est seule capable d'éprouver misère [état de l'homme pécheur selon saint Bernard], et béatitude.
Ce que ne peuvent en aucun cas ressentir les arbres ou les animaux.

                        
Le consentement de cette volonté, consentement bel et bien volontaire et non pas nécessaire, en montrant quels sont les justes et les injustes, fait donc aussi les uns bienheureux et les autres misérables.
Ce libre arbitre est libre de soi à cause de la raison .

[ C'est une bonne chose que le jugement accompagne la liberté. Je suis libre de mes choix et en même temps ma raison peut les réguler. Et il est juste que je souffre d'un mauvais choix que je ne voudrais pas. « Je ne fais pas ce que je voudrais, et je fais ce que je ne veux pas. »]

5 -

Si nous n'étions pas libres, qui rendre responsable du bien ou du mal ? La nécessité met alors les deux hors de cause. Où il y a nécessité, il n'y a pas de liberté. Et sans liberté, il n'y a aucun mérite, ni jugement possible. Pour être vraiment elle-même, la volonté ne peut être privée de sa liberté.

La volonté peut être changée en une autre volonté mais sans jamais perdre sa liberté.

L'homme qui n'est pas en possession de sa raison n'a pas vraiment l'usage de sa volonté ni de son jugement et rien de ce qu'il fait ne peut lui être imputé.

6 -
                   

La volonté, en vertu de sa liberté innée est ce qu'on appelle le libre arbitre : libre car se rapportant à la volonté, et arbitre à la raison.

Une autre dimension de la liberté est celle dont parle l'apôtre Paul : « Où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté. » (2 Corinthiens 3,17).

Cette liberté-là « affranchit du péché en vue de la sanctification ; la fin étant la vie éternelle. » (Romains 6,22)

Cette liberté-là, on ne peut l'acquérir par soi-même et ne relève donc pas du libre arbitre.
De même, la liberté qui nous affranchirait de notre misère. On ne peut prétendre la posséder en cette vie mortelle.
Par contre, la liberté qui affranchit de la nécessité (nécessaire s'opposant à volontaire) convient au libre arbitre.

7 -

Une triple liberté nous est donc proposée :

        à l'égard du péché : nous sommes restaurés par la grâce (liberté de grâce)

  • à l'égard de la misère : réservée dans la vie éternelle (liberté de vie et de gloire) où nous passerons « à la glorieuse liberté des fils de Dieu » (Romains 8,21) par laquelle le Christ nous rendra libres. » (Galates 4,31)

  • à l'égard de la nécessité : conférée par la nature dans la création (liberté de nature) où nous l'emportons sur tous les êtres animés.

    8 -


    Seul, en effet, parmi les fils d'Adam, le Christ revendique pour lui la liberté qui affranchit du péché, « lui qui n'a pas commis le péché et dans la bouche de qui on n'a pas trouvé le mensonge » (1 Pierre 2,22). De plus, par sa puissance, il a possédé tout autant la liberté qui affranchit de la misère due au péché. Et « nul ne lui ôtait la vie, mais il la quittait de lui-même. » Comme le dit le prophète Isaïe, « il s'est offert parce qu'il l'a voulu. » (Is 53,7), de même lorsqu'il l'a voulu, « il est né d'une femme et libre parmi les misérables et les pécheurs, est devenu sujet de la loi » (Galates 4,4-5), comme les hommes qu'il venait sauver.

    Le Sauveur a possédé ces trois libertés :

      - la première de par sa nature à la fois humaine et divine,

      - les deux autres (libre à l'égard du péché et de la misère) de par sa puissance divine.

    9 -

    Il faut savoir évidemment que ces deux libertés se trouvent pleines et parfaites dans les âmes parfaites, dégagées de la chair comme il en est pour Dieu et son Christ, ainsi que pour les anges placés au-dessus des cieux.

    Car pour les âmes saintes, même si elles n'ont pas encore recouvré leur corps, elles ne connaissent pas encore la gloire, mais il n'y a plus en elles la moindre trace de misère.

    Quant à la liberté qui affranchit de la nécessité, elle convient également à Dieu et à toute créature raisonnable, la mauvaise comme la bonne. Elle n'est perdue ou diminuée ni par le péché, ni par la misère : elle n'est pas plus grande chez le juste que chez le pécheur, ni plus pleine chez l'ange que chez l'homme. De même, en effet, que le consentement de la volonté humaine, lorsqu'il est tourné vers le bien par la grâce fait qu'en toute liberté l'homme est bon et libre dans le bien... de même aussi, lorsque le consentement se jette spontanément dans le mal, il établit pareillement l'homme dans le mal de façon aussi libre que spontanée : c'est, en effet, par sa propre volonté qu'il a été conduit à être mauvais et non par une contrainte extérieure...C'est également en toute liberté que le diable s'est précipité dans le mal et qu'il y persiste par son acquiescement tout à fait volontaire, non par une impulsion étrangère.

                             
                     Basilique Notre-Dame d'Orcival (Puy de Dôme)
    10 -

    Mais les hommes ont l'habitude de se plaindre : «  Je veux avoir une volonté bonne et je ne le peux pas ! ».

    Celui qui veut avoir une volonté bonne prouve qu'il a la volonté donc il a aussi la liberté mais pas celle qui l'affranchit du péché. Il prend conscience de son impuissance et de son manque de liberté face au péché. Pourtant, sans aucun doute, il a déjà, d'une certaine manière, une volonté bonne dès qu'il veut l'avoir bonne. C'est en effet le bien qu'il veut. Volonté bonne ou volonté mauvaise, il y a volonté et partout liberté. Mais nous n'avons pas toujours la force de faire ce que nous voulons. Notre liberté elle-même est captive du péché mais elle n'est pas perdue.

    11 -

    Nous consentons au bien ou au mal parce que nous le voulons. Alors libre arbitre ? Libre conseil ? Libre bon plaisir ?

    L'arbitre, c'est le jugement qui permettra de discerner ce qui est permis ou ne l'est pas.

    Le conseil éprouve ce qui est avantageux ou non.

    Le bon plaisir fait l'expérience de ce qui plaît ou ne plaît pas.

    Mais tout ce que nous considérons comme droit et profitable ne nous est pas forcément agréable. Cela nous est même parfois insupportable car trop dur. Nous n'avons de libre ni le conseil ni le bon plaisir.

    12 -

    Avant le péché d'Adam, avons-nous eu ces deux libertés ? Nous en reparlerons.

    Mais cela arrivera lorsque Dieu, dans sa miséricorde exaucera notre prière : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » (Matthieu 6, 10)Mais cela n'est pas encore arrivé, seule, ici-bas, la liberté de l'arbitre demeure pleine et entière en l'homme.

                     

    « Quand viendra ce qui est parfait, alors ce qui est partiel sera éliminé » (1 Corinthiens 13,10) c'est-à-dire quand il y aura pleine liberté de conseil, la captivité de l'arbitre alors sera nulle. Et c'est ce que nous demandons chaque jour, dans la prière en disant à Dieu : « Que ton règne vienne » (Matthieu 6,10). Ce règne n'est pas encore totalement parvenu jusqu'à nous. Chaque jour cependant, peu à peu, il approche et insensiblement, au long des jours, de plus en plus, il dilate ses frontières, en ceux du moins chez qui, grâce au secours de Dieu, « l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour » (2 Co 4,16). Donc, dans la mesure même où le royaume de la grâce se dilate, le pouvoir du péché s'amenuise.

    Mais, à présent, où nous habitons encore ce corps de mort, « tous nous tombons en de nombreuses fautes » (Jacques 3, 2). Le règne ne sera accompli que le jour où le corps mortel ne sera plus du tout, et ne pourra plus être dans son corps désormais immortel. 

    13 -

    Maintenant, que dire de la liberté du bon plaisir en ce monde où «  toute la création gémit encore dans les douleurs de l'enfantement » (Romains 8,22) , « assujettie contre son gré à la vanité » (Rm 8,20) où la vie de l'homme sur terre est une tentation, un combat, où même gémissent encore les hommes spirituels attendant la rédemption de leur corps ?

    Que reste-t-il de libre, je me le demande, quand la misère semble tout envahir ?

    « Malheureux, homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort » ? (Rm 7,24)

    « Mes larmes sont devenues mon pain, la nuit, le jour. » (Ps 41,4)

                        
                        Eglise de Cancale (Ille et Vilaine)

    Et enfin, ceux qui veulent vivre pieusement dans le Christ, souffriront davantage persécution. « Commencez par les miens » a dit Ezéchiel. (Ez 9,6)

     14 -

    Mais si la vertu n'est pas à l'abri, le vice l'est peut-être, pouvant nous donner du plaisir et nous garder de la misère. Loin de là ! En effet, « ceux qui se réjouissent bien qu'ils fassent le mal et qui mettent leur allégresse dans les pires horreurs » (Proverbes 2,14), font la même chose que les fous quand ils rient. Or, il n'y a pas de misère plus véritable que la fausse joie. Bref, il y a une telle misère en ce qui paraît bonheur en ce monde que le Sage dit : «  Mieux vaut aller à la maison du deuil qu'à la maison du festin. » (Ecclésiaste 7,3)

    Il y a, certes, dans les biens du corps quelque agrément, par exemple à manger, à boire, à se chauffer, ainsi que dans les autres soins que nous procurons à notre corps. Mais tout cela est relatif car le pain est bon, mais à celui qui a faim, la boisson délectable à celui qui a soif. Si on est rassasié, nourriture et boisson ne sont plus agréables. On ne recherche pas non plus l'ombre sans avoir trop chaud, ni le soleil à moins d'avoir froid.

                         

    Rien de tout cela ne plaît sans la pression d'une nécessité.

    Si on ôte cette nécessité, aussitôt se change en dégoût et en peine, l'agrément qu'il paraît y avoir en tout cela.

     La misère envahit-elle donc tout ce qui appartient à la vie présente ?

    Nos « petites » misères peuvent devenir consolation par rapport à de bien plus grandes et lourdes à porter et on prend cela pour le bonheur.

    15 -

    Les joies de la contemplation pour ceux qui la vivent, leur permet-elle à ces moments-là d'extase, de s'affranchir de la misère ? Oui, on ne peut le nier. N'ont-ils pas choisi avec Marie la « meilleure part qui ne leur sera pas ôtée ? » (Lc 10,42). Ils expérimentent bel et bien ce qui est à venir, c'est-à-dire la félicité. Or, félicité et misère ne peuvent exister simultanément. Donc, aussi souvent que, par l'Esprit, ils participent à la félicité, ils ne sentent plus la misère. Ainsi, en cette vie, seuls les contemplatifs peuvent jouir quelque peu de la liberté de bon plaisir, mais en partie – en partie très mesurée – et en de très rares occasions.
     Quant à la liberté de conseil (juger de ce qui est avantageux ou non), n'importe quel juste en jouit, en partie, certes, mais dans une large mesure.

    Par ailleurs, la liberté de l'arbitre (qui évalue ce qui est permis ou non),est indistinctement le partage de tous ceux qui ont l'usage de la raison et n'est pas moindre dans les mauvais que dans les bons.

    16 -

    Mais la liberté de l'arbitre est pourtant, d'une certaine façon, dépendante des deux autres libertés. « Vous ne faîtes pas tout ce que vous voudriez », écrit saint Paul (Galates 5, 17)

    Par le libre arbitre, il nous appartient de vouloir et non de pouvoir. Le simple vouloir va nous permettre de progresser ou de régresser ; il tient son existence de la grâce créatrice ; son progrès de la grâce salvatrice ; sa déficience, de sa propre précipitation dans la chute. Seule la grâce fait de nous des hommes qui veulent le bien.

    C'est une chose d'aimer et une autre d'aimer Dieu. Ainsi, c'est une chose de vouloir et une autre de vouloir le bien.

    17 -

    Nous avons ici un très beau passage de ce texte de saint Bernard qui souligne les aptitudes de l'homme (vouloir, craindre, aimer) mais aussi l'humilité nécessaire lui permettant de reconnaître la place de la grâce dans ce qu'il est et ce qu'il fait. Paroles de Bernard toujours nourries de l'Ecriture.

     Les simples affections viennent de nous, mais le surplus vient de la grâce. Les disciples « secoués par la crainte là où il n'y avait rien à craindre » (Ps13,5) ont des réactions désordonnées. L'Ecriture dit «  Venez fils, écoutez-moi, je vous enseignerai la [juste] crainte du Seigneur. » (Ps 33,12).

    Notre amour désordonné pour Dieu suscite cette demande de l'épouse du Cantique : «  Ordonnez en moi la charité. » (Cantique 2, 4). De même, certains s'entendent reprocher leur volonté désordonnée : «  Vous ne savez pas ce que vous demandez. » (Matthieu 20, 22)

    Devant l'imminence de sa passion, Jésus « priant pour que le calice s'éloigne de lui » (Marc 14,35-36), ajoute aussitôt : «  Non ce que je veux, mais ce que tu veux. » (Marc 14,36)

                                                           

    Donc, vouloir, comme aussi craindre, comme aussi aimer, nous l'avons reçu dans l'état de nature pour être une certaine créature ; mais vouloir le bien, comme aussi craindre Dieu (craindre = aimer avec respect), comme aussi aimer Dieu, nous le recevons dans la visite de la grâce pour être la création de Dieu.

    18 -

    Dieu nous a créés avec une volonté libre, mais c'est de lui que nous dépendons pour une volonté bonne. Il la rend bonne « pour que nous soyons comme les prémices de sa création »(Jacques 1,18). Et c'est mieux ainsi car sinon, mieux vaudrait n'avoir jamais existé. Ceux qui ont voulu ne dépendre que d'eux-mêmes sont devenus aussi la propriété du diable. A cela se rapporte l'affirmation : «  Dieu connaît ceux qui sont à lui. » (2 Timothée 2,19) Car à ceux qui ne sont pas à lui, il déclare : « En vérité, je vous le dis, je ne vous connais pas. » (Matthieu 25,12).

    Donc, tant que par la volonté mauvaise nous sommes propriété du diable, d'une certaine manière, durant ce temps, nous ne sommes pas celle de Dieu. « Personne ne peut servir deux maîtres » (Matthieu 6,24). Mais que nous appartenions à Dieu ou au diable, nous ne cessons pour autant d'être nous-mêmes et c'est bien par notre volonté et du fait de notre liberté, que nous sommes bons ou mauvais.

    C'est notre volonté – non le pouvoir du diable – qui nous asservit au diable ; mais c'est la grâce de Dieu – non notre volonté – qui nous soumet à Dieu.

    Dieu a créé notre volonté mais c'est lui aussi qui la mènera à sa perfection et non nous seuls. « Vouloir est à ma portée, mais je ne trouve pas le moyen d'accomplir. »

    La grâce nous est nécessaire pour que ce vouloir s'accomplisse. Car si vouloir le mal est une certaine déficience de la volonté, à coup sûr, vouloir le bien sera pour notre volonté un progrès, et parvenir à accomplir tout le bien que nous voulons sera sa perfection.

    19 -

     Donc, pour que notre vouloir , que nous tenons du libre arbitre, soit parfait, nous avons besoin d'un double don de la grâce : d'une vraie sagesse, qui est la conversion de la volonté au bien, et encore d'un plein pouvoir, qui est sa confirmation dans le bien.

     La parfaite conversion au bien, c'est que plus rien ne plaise sinon ce qui convient ou ce qui est permis.

    La parfaite confirmation dans le bien, que plus rien ne manque de ce qui plaît.

    Alors enfin la volonté sera parfaite lorsqu'elle sera pleinement bonne et pleine de bonheur (plene bona et bene plena).

     A la vérité, dès son origine, la vérité a, en elle-même, un double bien :

      - L'un général, du seul fait de sa création. Par Dieu qui est bon, elle n'a pu évidemment qu'être créée bonne. « Dieu vit tout ce qu'il avait fait, et voilà que c'était très bon. » (Genèse 1,31)

      - L'autre particulier, provenant de la liberté de l'arbitre dans laquelle, c'est certain, elle a été faite à l'image de celui qui l'a créé.

                       

    La Création de l'homme – Tapisserie de Dom Robert (1907-1997) Abbaye d'En-Calcat (Tarn)

    Enfin, la conversion au Créateur et une soumission volontaire et fervente à Dieu rendront tout cela parfaitement bon. A une aussi parfaite justice est liée la plénitude de la gloire.

    «  Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice car ils seront rassasiés. » (Matthieu 5,6)

    20 -

    Tels sont les deux biens que nous avons appelés vraie sagesse et plein pouvoir, la sagesse se rapportant à la justice et le pouvoir à la gloire.

    Il faut aussi distinguer la vraie sagesse de la sagesse de la chair - c'est la mort – et de la « sagesse du monde qui est folie devant Dieu » (1 Corinthiens 3,19), elle qui laisse croire aux hommes qu'ils sont sages, alors qu'ils font mal.

    « Les puissants seront puissamment tourmentés. »

    Pour moi, je dirais que seul est vraiment sage et pleinement puissant l'homme qui trouve le moyen d'accomplir ce qu'il veut tout en étant incapable de vouloir ce qui est mauvais.
    Mais lequel d'entre les hommes a les qualités et la grandeur requises pour se glorifier de cela ? Où donc et quand cela s'obtient-il ? Serait-ce par hasard en ce monde ? Mais qui en serait là serait plus grand que Paul qui avoue : «  Accomplir, je n'en trouve pas le moyen. » (Romains 7,18). Etait-ce Adam au paradis ? Mais s'il avait eu cette perfection, il n'aurait jamais été exilé du paradis.

    21 -
                  
                  Voyage immobile – Denis Perret-Gentil – 2008
                   Yverdon (Suisse)

     Il s'agit maintenant de savoir si les premiers êtres humains, au paradis, ont eu dans leur totalité les trois libertés , de l'arbitre, de conseil et de bon plaisir, celles qui affranchissent ne la nécessité, du péché et de la misère. Ou bien, n'en ont-ils eu que deux ou même une seule ?

    • Pour la première, il n'y a pas de problème puisque nous avons montré qu'elle était présente chez les justes comme chez les pécheurs.

    • Quant aux deux autres, si Adam n'en a eu aucune, qu'a-t-il perdu ? Quel fut pour lui le préjudice d'avoir été expulsé du paradis ? Il est certain que depuis le péché, il n'a été libre ni à l'égard du péché, ni de la misère. S'il avait acquis une fois l'une de ces libertés, il n'aurait pu la perdre. Autrement, il est convaincu de n'avoir eu de parfait ni la sagesse ni le pouvoir puisqu'il a pu non seulement vouloir ce qu'il ne devait pas mais aussi recevoir ce qu'il ne voulait pas.

      Ou doit-on dire qu'il les a possédées dans une certaine mesure, mais qu'il a pu les perdre, faute de les avoir en plénitude ?

      Chacune des deux libertés a en elle deux degrés, l'un supérieur, l'autre inférieur.

      Liberté de conseil : degré supérieur : ne pas pouvoir pécher

                                   degré inférieur : pouvoir ne pas pécher

      Liberté de bon plaisir : degré supérieur : ne pas pouvoir être troublé

                                  degré inférieur : pouvoir n'être pas troublé

    Par conséquent, en même temps que la pleine liberté de l'arbitre, l'homme a reçu à la création, le degré inférieur de ces deux libertés et lorsqu'il a péché, il s'est effondré, tombant dans ne pas pouvoir ne pas pécher et ne pas pouvoir être troublé.

    Perdant la liberté de conseil , seule est restée la liberté de l'arbitre.

    22 -

    De cette liberté de l'arbitre, il va en abuser...

    « L'homme, bien qu'il fut à l'honneur n'a pas compris ; il a été comparé aux bêtes insensées et leur est devenu semblable ».(Ps 48,13)

    Il ne fut donné qu'à l'homme d'avoir pu pécher mais ce n'était pas pour qu'il le fasse mais au contraire qu'il choisisse de ne pas le faire ! Cela aurait été tout à sa gloire. On aurait pu dire de lui : « Il a fait des merveilles pendant sa vie. Il aurait pu transgresser mais il ne l'a pas fait. » (Siracide 31,9-10). Aussi longtemps qu'il fut sans péché, l'homme conserva cet honneur ; du fait de sa liberté, il le perdit par le péché.

    Dieu lui avait donné la liberté mais le responsable du péché ce n'est pas Dieu mais l'homme qui abusa de cette liberté. Il avait le pouvoir d'en abuser mais il a surtout voulu en abuser.

    Quand le diable et ses anges se sont écartés du droit chemin, les autres anges ne s'en sont pas écartés (Isaïe 24,16) : ce n'est pas parce qu'ils ne l'ont pas pu, mais parce qu'ils ne l'ont pas voulu.

    23 -

    Le péché ne vient donc pas du pouvoir reçu mais de notre volonté. Mais si on tombe, va-t-on pouvoir se relever par notre seule volonté ? Est-ce si facile ? (Jérémie 8,4)

    Et désormais, même s'il le voulait, l'homme ne pourrait pas ne pas pécher.

    24 -

    Ayant perdu le libre conseil, le libre arbitre a-t-il péri lui aussi ? Pas du tout. Cet homme malheureux ne peut simplement plus éviter le péché ; il ne peut plus non plus ne pas être troublé.

    Le libre arbitre demeure, misérable sans doute, mais entier. Le propre du libre arbitre n'a jamais été le pouvoir ou la sagesse, mais seulement le vouloir : il ne rend la créature ni puissante ni sage, mais simplement apte à vouloir. Et là où il n'y a pas de volonté, il n'y a pas de liberté.

    La volonté subsiste tout autant pour le mal que pour le bien ainsi que le libre arbitre.

                               

    A supposer que ce soit seulement vouloir le bien que la créature ne puisse pas, c'est le signe qu'il lui manque non pas le libre arbitre mais le libre conseil.

    De même que la volonté, même fixée dans la misère ne cesse d'être la volonté – il y a aussi une volonté bienheureuse – de même aussi aucune adversité ou nécessité ne pourra détruire ou diminuer en quoique ce soit le libre arbitre, étant donné sa nature. 

    25 -

    Mais bien que le libre arbitre subsiste partout sans s'amoindrir, il ne pourra cependant pas également trouver une vraie respiration en passant du mal au bien. Il ne pouvait pas par lui-même progresser vers un état meilleur, ce n'est donc pas étonnant qu'à terre, il ne puisse pas se relever par lui-même.

    Si même recevant une certaine aide des deux autres libertés, il n'a pas eu assez de force pour se porter du bien au mieux, encore moins pourra-t-il, totalement abandonné par elles, sortir désormais, par lui-même, des profondeurs du mal où il est plongé pour s'élever à ce qui fut son bien.

    26 -

    A l'homme, par conséquent est nécessaire « le Christ, Puissance de Dieu et Sagesse de Dieu » (1 Co 1,24)

    • Lui, Sagesse, peut de nouveau répandre en l'homme la vraie sagesse pour la restauration du libre conseil.

    • Lui, Puissance, peut restituer à l'homme le plein pouvoir pour la réparation du libre bon plaisir.

    Devenu parfaitement bon et bienheureux, l'homme ne ressentira plus rien qui lui soit contraire.

    Mais notre entière restauration ne peut être attendue que dans la vie future, bien plus parfaite que n'importe quel juste la possède sur terre et non à la manière dont, au paradis, il a été donné aux premiers hommes de la connaître, mais comme dès maintenant au ciel, les anges possèdent toutes libertés.

    Mais, présentement, « en ce corps de mort » (Romains 7,24) et « en ce monde mauvais » (Galates 1,4) puissions-nous parvenir selon nos moyens, à ne pas obéir au péché, à ne pas redouter les adversités. Ce qui est déjà une sagesse au-dessus de la moyenne.

    27 -

    Ici-bas, présentement, il nous faut, bien certainement, apprendre de la liberté de conseil à ne plus abuser de la liberté de l'arbitre afin de pouvoir jouir pleinement, un jour, de la liberté du bon plaisir.

    C'est ainsi que nous réparerons en nous l'image de Dieu et c'est ainsi que, par la grâce, nous sommes préparés à recouvrer l'antique honneur que nous avons perdu par le péché.

    Et bienheureux celui qui méritera d'entendre dire de lui : « Qui est-il et nous ferons son éloge ? Car il a fait des merveilles pendant sa vie »: « il pouvait transgresser et n'a pas transgressé, faire le mal et il ne l'a pas fait. » (Siracide 31,9-10)

                                                  
                                                  Colombe de la paix - Le Corbusier   © D.G

    28 -

    Je pense que, dans ces trois libertés, est contenue « l'image et ressemblance du Créateur selon laquelle nous avons été créés » (Genèse 1, 26) : l'image est imprimée dans la liberté de l'arbitre et ne peut souffrir aucune diminution.

    En effet, même s'il y a eu un commencement, il ne connaît pas de couchant (allusion à l'Exultet de la vigile pascale). Qu'y a-t-il de plus semblable à l'éternité, sans être l'éternité ?

    Au contraire, dans les deux autres libertés, parce qu'elles peuvent en partie diminuer et même totalement se perdre du fait du péché, on ne reconnaît plus de cette image qu'une certaine ressemblance avec la sagesse et la puissance divine.

    Suivant les jours, nous progressons ou diminuons dans ces deux libertés au risque de tout perdre.

    29 -

                                  

    L'homme fut installé dans le paradis, non pas certes, au plus haut degré de la double ressemblance avec la sagesse et la puissance de Dieu, mais à un degré qui en était cependant tout proche.

    Qu'y a-t-il en effet de plus proche de Dieu que « de ne pas pouvoir pécher ni être troublé » ? Mais c'est de là que, par le péché, l'homme est tombé, que nous sommes tombés.

    Et donc, par la grâce, nous recevons à sa place, un degré inférieur qui nous permet de pouvoir n'être dominé ni par le péché, ni par la misère.

    Cependant l'Ecriture dit : «  Quiconque est né de Dieu ne pèche pas » (1 Jean 5,18). Cela ne veut pas dire qu'il ne pèche pas du tout, mais en ce sens que le péché ne lui est pas imputé soit qu'une pénitence appropriée le châtie, soit que la charité le cache.

    «  La charité recouvre la multitude des péchés » (1 Pierre 4,8)

    «  Bienheureux ceux dont les fautes ont été remises et dont les péchés sont pardonnés » (Ps 31,1)

    Les anges les plus élevés tiennent donc le degré le plus élevé de la ressemblance avec Dieu, nous le plus bas ; Adam a tenu celui du milieu (né sans péché il a finalement cédé à la tentation), mais les démons sont plus bas encore car ils ne veulent jamais résister au péché et ne peuvent donc en éviter la peine.

    A nous qui sommes imparfaits de ne pas « nous laisser entrer en tentation ».

    30 -

    Les deux libertés, celle du conseil et celle du bon plaisir, qui octroient à la créature raisonnable la vraie sagesse et la vraie puissance, connaissent donc, selon les circonstances (de cause, de lieu, de temps) de telles variations que leur participation est faible sur terre, plénière au ciel, moyenne au paradis, nulle en enfer.

    Au contraire, la liberté de l'arbitre ne subit aucune transformation de l'état où elle a été créée, mais on la possède toujours également au ciel, sur terre et en enfer.

    «  Tout ce que ta main peut faire, fais-le avec fermeté, car il n'y a ni œuvre, ni raison, ni sagesse aux enfers où tu te hâtes d'aller. »

    Comme le précise Grégoire le Grand : tu penses qu'étant trop tourmenté, tu peux retrouver la sagesse. Mais si tu as laissé passer l'heure cette sagesse ne te servira plus à rien (Morales sur Job – cité dans les notes)

    Quant à la puissance qui t'est donnée par la liberté de bon plaisir, l'Evangile dit ceci :

    «  Jetez-la, pieds et mains liés dans les ténèbres extérieures. » (Matthieu 22,13)

    Pieds et mains liés, cela ôte tout genre de pouvoir.

    31 -

    Le mal qu'on a commis nous contraint parfois à regretter ce qu'on a fait. N'y -t-il pas là une certaine sagesse ?

    Il est certain qu'on ne prend pas plaisir à commettre des choses mauvaises. Mais la sagesse n'est pas acquise par le repentir. C'est la volonté mauvaise qui est grave surtout . Car « dans une âme malveillante, la sagesse n'entrera pas. » (Sagesse 1,4)

    Les damnés ne souhaitent évidemment pas être punis. Or, il est juste qu'ils soient punis pour ce qu'ils ont fait. Celui qui ne veut pas ce qui est juste n'a donc pas une volonté juste.

    « Les méchants auraient bien voulu vivre sans fin pour pouvoir sans fin demeurer dans leurs iniquités [méchanceté]. » (Saint Grégoire le Grand)

    Et, en définitive, ce qui se passe dedans paraît au-dehors.

    Sans changement de vie, il n'y a pas vraie repentance.

    32 -

    En ce monde non plus, on ne pourrait trouver nulle part la ressemblance parfaite vue sa déchéance. Mais la femme de l'Evangile a tenu sa lampe allumée, a recherché aussi son argent perdu (Luc 15,8)  Elle s'efforçait de retrouver sous la poussière du péché sa beauté primitive.

    Cela arrivera quand s'accomplira la parole de l'Ecriture :

    « Nous savons que lorsqu'il apparaîtra, nous lui serons semblables parce que nous le verrons tel qu'il est. » (1 Jean 3,2)

    Or, à qui, en vérité, cette œuvre convenait-elle mieux qu'à Jésus, Fils de Dieu « puisqu'il est la splendeur et l'image de la substance du Père, soutenant tout par sa parole » (Hébreux 1,3) ?

    Il apparut incontestablement pourvu de ce qu'il fallait à la fois pour réformer celle qui était déformée et pour fortifier celle qui était sans force jusqu'à ce que, chassant par la splendeur de sa face les ténèbres du péché, il la rende sage, et que par la force de sa parole, il la constitue puissante contre la tyrannie des démons.

                                                       

     

    [ Cette espérance de purification malgré la gravité de notre situation de pécheur, peut nous interpeller aujourd'hui au sujet des graves difficultés que connaît l'Eglise. Le synode proposé par le pape François et la part que nous y prendrons doit nous laisser espérer cette purification. ]

    33 -

    Pour retrouver notre forme primitive, il nous faut être reformé par la Sagesse « qui dispose toutes choses avec douceur » (Sagesse 8,1), et atteint « du plus haut des cieux jusqu'aux parties inférieures de la terre » avec une force puissante qui ordonne et gouverne l'univers.

    Elle atteint avec force « d'une extrêmité à l'autre », c'est-à-dire depuis la naissance de la créature jusqu'au terme fixé par le Créateur, que ce soit la nature qui l'impose, ou un événement qui l'accélère, ou la grâce qui l'accorde. La Sagesse agit « comme elle le veut », dans sa puissante providence.

    «  C'est le seul et même Esprit qui produit tout cela... comme il le veut ».          (1 Corinthiens 12, 11)

                                              

    34 -

    Le libre arbitre doit s'efforcer de gouverner le corps comme la Sagesse gouverne l'univers, et de maîtriser chacun de ses sens et de ses membres avec une telle puissance que le péché ne pourra plus l'atteindre.

    Ainsi l'homme ne sera plus esclave du péché, il commencera dès lors à recouvrer la liberté de conseil, à revendiquer aussi sa dignité quand il aura revêtu la ressemblance appropriée à l'image divine qui est en lui ; bien mieux, quand il aura réparé l'ancienne beauté.

    Tout cela doit être vécu avec douceur et force, non dans la tristesse ou la nécessité – c'est là « le commencement de la sagesse » (Ps 110,10) car « Dieu aime celui qui donne avec joie. » (2 Corinthiens 9,7)

    Alors l'homme goûtera avec douceur le repos de la conscience.

    35 -

    Pour être conformés et transformés en cette image divine, c'est la grâce de Dieu qui agit. Et si donc, c'est par l'Esprit du Seigneur, ce n'est plus le libre arbitre. Celui-ci ne peut évoluer librement entre le bien et le mal puisqu'il a pu tomber certes par lui-même, mais n'a pu se relever que par l'Esprit du Seigneur.

    Ni Dieu, ni les saints anges n'ont le libre arbitre puisqu'ils sont si bons et ne peuvent donc être mauvais. Les anges pécheurs non plus puisqu'ils sont si mauvais qu'ils ne sont plus capables d'être bons. Et nous-mêmes nous perdrons ce libre arbitre après la Résurrection, quand nous aurons été inséparablement réunis, les uns aux bons et les autres aux mauvais.

    Et si le diable ne peut « respirer » dans le bien, c'est parce qu'il le veut. Ce n'est pas dû à l'effet de l'oppression d'un autre.

    Dans le bien comme dans le mal, le libre arbitre se comporte de la même façon . Dans l'un et l'autre, il a, non certes une égale facilité de choix mais une égale liberté dans la volonté.

                 
                    L'enfer – Eglise de Sillegny (57) – Fresque du 16°s. 

    36 -

     Le Créateur a singulièrement marqué la créature raisonnable de la prérogative de la dignité divine.

    C'était bien par sa volonté, non par nécessité qu'il était bon. De même l'homme dépendrait de sa propre volonté d'être bon ou mauvais et donc d'être sauvé ou damné.

    Sa propre volonté ne pourrait lui suffire pour parvenir au salut mais personne ne peut cependant être sauvé malgré soi.

    « Nul ne vient à moi si mon Père ne l'attire » (Jean 6,44) et le Père « veut que tous les hommes soient sauvés » (Timothée 2,4). Mais il ne juge personne digne de salut avant de l'avoir éprouvé comme étant volontaire.

    Dieu ne nous sauvera pas malgré nous, mais si il pousse notre volonté à passer du mal au bien, ce n'est pas qu'il l'oblige mais qu'il la transforme.

                                  

     Nous ne sommes d'ailleurs pas toujours contraints malgré nous et pouvons être soulagés d'être tirés de notre mal. Paul, tiré jusqu'à Damas, ne l'a pas été malgré lui.

    Et aussi, dans le Cantique des cantiques (1,3) : « Tire-moi derrière toi ; à l'odeur de tes parfums nous courons ».

    37 -

    Tout notre être est sujet à la convoitise et à la séduction. « Notre habitation terrestre accable notre esprit de multiples pensées »(Sagesse 9,15). La loi du péché qui est en moi s'oppose à la loi de mon esprit et on peut penser que tout cela nous contraint et ravit la liberté.

    Cependant notre volonté reste libre bien qu'elle soit aux prises avec la convoitise de la chair et la misère de la vie ; mais elle ne sera sûrement pas mauvaise tant qu'elle ne consent pas au mal.

    Saint Paul se plaint d'être entraîné captif sous la loi du péché, faute sans aucun doute d'avoir pleine liberté de conseil. Mais il se félicite d'être tout de même en état de consentir et d'être déjà aussi, en grande partie, libre dans le bien.

    « Ce n'est plus moi qui le fais. » (Romains 7, 20), dit Paul

    «  D'où te vient cette assurance, ô Paul ? »

    «  Je consens à la loi de Dieu parce qu'elle est bonne », répond Paul (Romains 7,16)

                           
                           Saint Paul

    Puisque l'oeil se montre simple, Paul présume que tout le corps est dans la lumière (Matthieu 6,22)

    Etant en état de consentir , il n'hésite pas, bien qu'entraîné au péché ou du moins captif de la misère, à se déclarer libre dans le bien. D'où son assurance encore à tirer la conclusion :

    «  Il n'y a pas de condamnation pour ceux qui sont dans le Christ Jésus. » (Romains 8,1)

     38 -

     Qu'en est-il des personnes qui ont renié verbalement la foi par crainte des châtiments ou de la mort ? Y a-t-il là une sorte de contrainte alors que l'homme n'a pas délibérément voulu ce mal ?

    Et ce n'est pas le même problème que pour le péché originel, par lequel, jusqu'à sa renaissance par le baptême, l'homme est lié d'une autre façon, sans consentement de sa part et même, le plus souvent à son insu.

    Prenons l'exemple de l'apôtre Pierre qui a renié Jésus  à l'heure de sa passion: « Je ne connais pas cet homme ! » (Matthieu 26,72)

                         
                          Le Reniement de Pierre _ Le Caravage

     Il semble, en effet, avoir nié la vérité à l'encontre de sa propre volonté, car il était dans la nécessité ou de renier ou de mourir. Comme il craignait de mourir, il renia. Renier, il ne le voulait pas, cependant, il n'a pas été contraint à vouloir autre chose que ce qu'il voulait. Que voulait-il ? Bien sûr, être ce qu'il était, disciple du Christ. Que disait-il ? «  Je ne connais pas cet homme. » Pourquoi parlait-il ainsi ? Parce qu'il voulait échapper à la mort. Mais en quoi cela a-t-il été un crime ?

    Est-ce d'avoir mieux aimé mentir que mourir ? Il a donc voulu conserver la vie du corps plutôt que celle de l'âme. (Sagesse 1,11). Il a péché non par haine du Christ mais par trop d'amour de soi. Mais il ne le savait pas.

    « Avant que le coq chante, tu me renieras trois fois ! » (Matthieu 26,34)

    Le Christ savait ce qu'il y a dans l'homme, il connaît sa faiblesse.

    Dans la mesure où il aimait le Christ, on peut dire que Pierre parlait contre sa volonté et sa pensée.
    Mais on ne peut douter, que s'aimant lui-même, il a parlé dans son intérêt.

    Pierre ne s'est pas retiré de l'amour de Dieu, mais s'en est écarté un peu par amour de soi.

    39 -

    Alors peut-on être vraiment libre si notre volonté peut être contrainte ? Oui, si cette contrainte vient de l'extérieur. Et oui également, si on s'est soi-même contraint .

    Ce que la volonté a subi de sa propre part est issu de la volonté ; elle est donc bien volontaire donc libre.

    Finalement, celui que sa volonté a acculer à nier, l'a été parce qu'il l'a voulu ; bien mieux, il n'a pas été acculé, il a consenti, consenti non à un pouvoir étranger, mais à sa propre volonté, à celle par laquelle il a voulu à tout prix échapper à la mort.

    Comment la voix d'une femmelette aurait-elle été capable de faire formuler par Pierre des paroles sacrilèges, si la volonté de Pierre, maîtresse de sa langue n'avait donné son accord ?

    Enfin, il se modéra ensuite de ce trop grand amour de lui-même et commença à « aimer le Christ le Christ comme il le devait, de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa force. »(Marc 12,30).

    Il devint alors impossible à Pierre de lui arracher la moindre parole sacrilège. Bien plutôt, il se conforma hardiment à la vérité et dit : « Mieux vaut obéir à Dieu qu'aux hommes. » (Actes 5, 29)

    40 -

    Il y a deux sortes de pression contre la volonté libre suivant que nous sommes contraints de subir (volonté passive) ou au contraire d'agir au rebours de notre propre volonté (volonté active) . La première peut parfois s'exercer sans le consentement volontaire de celui qui la subit. Mais l'active, jamais.

    Pour le mal qui se fait par nous, nous sommes clairement convaincus de vouloir ce qui n'adviendrait pas si nous ne le voulions pas. Cette forme de pression active est sans excuse.

    Contraint de renier le Christ, Pierre certes s'en désolait, mais ne voulant pas mourir, il ne reniait pas sans le vouloir. Ce n'est pas le glaive qui le poussait à la faute mais bien sa volonté.

    Ceux, par contre, dont la volonté était saine pouvaient être tués, ils ne pouvaient être fléchis.

    « Ils feront contre vous tout ce qu'ils voudront » (Marc 9,12) mais contre vos membres , non contre vos cœurs.

    Cette remarque n'est pas sans nous évoquer la mort de Etty Hillesum dans un camp de concentration ( « Une vie bouleversée ») ou celle des moines de Tibhirine, en Algérie.

                                                   

    Ce n'est pas vous qui ferez ce qu'ils voudront, mais eux qui le feront ; vous, vous subirez. « Ils ne pourrons rien contre l'âme. » (Luc 12,4)

    Bien que le corps du supplicié soit au pouvoir du tortionnaire, la volonté cependant est libre. Si cette volonté est faible, cela vient d'elle. Mais si elle est saine, cela ne vient pas d'elle, mais de l'Esprit du Seigneur. Et saine elle le devient quand elle est renouvelée.

    41 -

    Or, elle est renouvelée lorsque, comme l'enseigne l'Apôtre « en contemplant la gloire de Dieu, elle est transformée en cette même image, de clarté en clarté – c'est-à-dire « de vertu en vertu » comme par l'Esprit du Seigneur.

    Entre cet Esprit divin et l'appétit de la chair se situe, au milieu, d'une certaine manière, ce qu'on appelle en l'homme le libre arbitre, c'est-à-dire la volonté humaine, suspendue entre les deux comme au flanc d'une montagne particulièrement escarpée. Elle se trouve tellement « affaiblie dans son élan par la chair » (Romains 8,3) que si « l'ESprit ne s'empressait de venir en aide à sa faiblesse » (Romains 8,26) par la grâce, elle n'aurait pas la force de « monter de vertu en vertu » (Psaume 83,6) pour atteindre le sommet de « la justice qui, selon le prophète, est comme les montagnes de Dieu » (Psaume 35,7).

    Tout au contraire, entraînée par son propre poids, elle se précipiterait la tête la première, allant toujours de vice en vice, alourdie qu'elle est, non seulement par la loi du péché implantée originellement dans ses membres, mais aussi par les habitudes de cette demeure terrestre, enracinées par l'usage dans ses affections.

    «  Le corps, sujet à la corruption, appesantit l'âme et l'habitation terrestre accable l'esprit de multiples pensées. «  (Sagesse 9,15)

    Et de même que ces deux maux de notre nature mortelle ne nuisent pas à ceux qui n'y consentent pas, mais les exercent, de même ils n'excusent pas ceux qui y consentent, mais les condamnent.

    42 -

    Voilà pourquoi ce qu'on appelle dans la créature le libre arbitre est, ou bien damné, en toute justice assurément, ou bien miséricordieusement sauvé. Nous nous rappelons qu'en tout cela la question du péché originel est tout à fait exclue.

     La damnation n'est donc pas à chercher en-dehors de nous-mêmes. Ne cherchons pas non plus comme venant de nous les mérites du salut, car seule la miséricorde nous sauve. Nos efforts sont inutiles s'ils ne sont pas aidés par la grâce.

     Il ne faut pas penser que les mérites attribués à l'homme viennent de lui, mais bien qu' « ils descendent d'en-haut, du Père des lumières » (Jacques 1,17), ces mérites par lesquels à juste titre, on acquiert le salut éternel.

                                  
    Cathédrale Saint-Etienne de Toul (54) Résurrection de Lazare

    45 -

    En effet, quand « Dieu, notre Roi dès avant les siècles, opéra le salut au milieu de la terre » (Ps.73,12) , « en faisant aux hommes ses dons » (Ephésiens 4,8), il les partagea en mérites et en récompenses. Ainsi, d'une part, grâce à une libre possession, les dons reçus présentement deviendraient, ici-bas, nos mérites, d'autre part, en raison d'une promesse gratuite, les récompenses à venir seraient attendues, bien mieux, réclamées par nous comme des dûs.

    Saint Paul dit : «  Nous aussi, qui avons les prémices de l'Esprit, nous gémissons en attendant l'adoption des fils de Dieu. » (Romains 8, 23).

    Le Seigneur est lui-même le salut, lui-même aussi le chemin conduisant au salut. Il s'est fait le chemin, lui qui était le salut et la vie « afin qu'aucune chair ne se glorifie. » (1 Corinthiens 1,29)

    Toutes nos œuvres bonnes et leurs récompenses sont dons de Dieu.

    Tout est don, mais Dieu daigne s'adjoindre le service de ses créatures, non qu'il ait besoin d'elles, mais parce que par là, il leur fait du bien ou fait du bien en se servant d'elles.

     Un cadeau qu'on reçoit, auquel on a participé, qu'on a mérité est davantage valorisé qu'un don où on n'aurait aucune part. C'est à retenir en cette période de Noël où, notamment, les enfants apprécieront davantage un cadeau auquel ils ont contribué, plutôt qu'un objet qu'ils n'ont même pas désiré. Et du coté du donateur, la démarche du cœur est tout aussi importante sinon plus que l'investissement de quelques euros.

                                                   

    44 -

    Dieu opère donc le salut de ceux « dont les noms sont dans le livre de vie » (Philippiens 4,3), tantôt par la créature et sans elle ; tantôt par elle et contre elle ; tantôt par elle et avec elle.
    Nous sommes souvent inconscients de ce salut qui nous arrive d'autant que cela peut être à travers des êtres désireux de nuire.
    Bien sûr, ceux avec qui Dieu œuvre le plus souvent sont des êtres bons, anges ou hommes, qui consentent au bien que Dieu veut.
    Paul souligne d'ailleurs que ce n'est pas lui qui agit mais c'est la grâce qui agit avec lui. (1 Corinthiens 15,10)
    Il aurait pu dire « par moi » mais parce que ç'aurait été trop peu, il préféra dire « avec moi » présumant être non seulement le serviteur de l'oeuvre par la réalisation, mais même, d'une certaine manière, l'associé du maître d'oeuvre par le consentement.

    On peut remarquer que ce qui semblait inconcevable aux siècles derniers (collaborer à l'oeuvre de Dieu), était pensable aux yeux de saint Bernard au 12°s. De nos jours, l'Eglise conçoit la place du chrétien comme réel collaborateur de Dieu ; ce qui est certainement plus valorisant et épanouissant que la notion de « serviteur ».
    Quand Marie dit « je suis la servante du Seigneur », c'est davantage une attitude d'humilité devant Dieu et cela il nous faut bien le reconnaître.

                                                                                 

    45 -

    Que mérite chaque créature pour son service ?

    • Quand ce qui s'est effectué par elle, mais sans elle, que peut-elle mériter ?

      Donc, aucun mérite.Telles des bêtes ou même des pierres. Une fois l'oeuvre achevée, elles disparaîtront.

    • Quand cela s'est effectué contre elle, que mérite-t-elle sinon la colère ?

      Donc, des démérites. Et le châtiment. Dieu la jettera au feu comme un sarment inutile.

    - Et quand cela s'est effectué avec elle, mérite-t-elle autre chose que la grâce ?

    Donc, de vrais mérites. Dieu les récompensera très largement comme si elles étaient ses compagnons d'armes.

    Paul lui, a évangélisé volontairement ayant confiance comme tous ceux dans cette même disposition, que « la couronne de justice leur a été réservée » (2 Timothée 4, 8) parce que leur obéissance provient du consentement de la volonté. « Nous sommes les coadjuteurs de Dieu », dit Paul (1 Corinthiens 3,9), les coopérateurs du Saint-Esprit, les acquéreurs méritants du royaume parce que, par un consentement bel et bien volontaire, nous sommes unis à la volonté divine.

    Saint Bernard souligne que l'homme associé en second à Dieu, a une vraie responsabilité à la fois mystérieuse mais réelle. Il n'est pas une marionnette !

    46 -

    Quoi donc ? Notre mérite est-il seulement de consentir ?

    L'Apôtre attribue à Dieu tout ce qui peut exister de bon : «  penser, et vouloir et accomplir selon son bienveillant dessein » (Philippiens 2, 13). Par conséquent,

    • il fait la première (penser) sans nous. Il nous pré-vient en nous envoyant une bonne pensée.

    • la seconde (vouloir) avec nous. Il a notre consentement.

    • la troisième, par nous. Nous en donnant la faculté ou la facilité, l'Ouvrier qui est en nous se fait connaître au-dehors par notre agir extérieur.

    C'est bien par Dieu que le commencement de notre salut s'opère. Mais le consentement et l'oeuvre salutaire, même s'ils ne viennent pas de nous, ne se font cependant pas sans nous.

    Seul notre consentement nous est compté comme mérite. Tout le reste est inutile si elle seule vient à manquer. Sinon à qui en est témoin. L'intention a un certain mérite ; l'action vaut pour l'exemple et les prévenant toutes deux, la bonne pensée ne sert qu'à les éveiller.

                                                  

     47 -

    Il faut donc prendre garde, lorsque nous sentons ce qui se joue invisiblement au-dedans de nous et avec nous, de ne pas l'attribuer à notre volonté qui est faible, ni à une nécessité qui serait en Dieu, car il n'y en a aucune, mais à la seule grâce dont il déborde. C'est elle, en effet, qui éveille le libre arbitre quand elle sème une pensée, le guérit quand elle change la disposition, le fortifie pour qu'il parvienne à l'acte, le garde pour qu'il ne sente pas de défaillance.

    La grâce œuvre avec le libre arbitre, le prévenant au début et l'accompagnant pour le reste, afin qu'ils coopèrent. C'est bien ensemble qu'ils opèrent les étapes de leurs progressions. Et ce n'est pas en partie l'un et en partie l'autre mais bien la grâce qui fait l'oeuvre tout entière en lui comme le libre arbitre la fait tout entière par elle.

    48 -

    Notre pensée est fidèle à celle de Paul : «  Ce n'est donc au pouvoir ni de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. » (Romains 9,16)

    En tout ce que nous faisons, ne nous glorifions qu'en celui de qui nous avons reçu à la fois de vouloir et de courir.

    « Qu'as-tu que tu n'aies reçu ? » (1Corinthiens 4,7)

    Tu es créé, tu es guéri, tu es sauvé. De tout cela qui est pour toi, qu'est-ce qui provient de toi, ô homme ? Rien de tout cela est-il possible au libre arbitre ? Tu ne pouvais te créer, toi qui n'existais pas ; ni pécheur, te justifier ; ni mort, te ressusciter toi-même. Sans parler des autres biens, les uns nécessaires à qui doit être guéri, les autres réservés à qui doit être sauvé.

    Tu ne voudrais pas reconnaître la justice de Dieu mais établir la tienne propre ? Quoi donc ? Tu reconnais la puissance du Créateur, la gloire du Sauveur et tu méconnais la justice de celui qui guérit ?

    Le prophète Jérémie disait : «  Guéris-moi et je serai guéri, sauve-moi et je serai sauvé car tu es ma louange. » (Jérémie 17,14)

    Il reconnaissait la justice de Dieu et mettait en lui son espérance .

    David aussi dit deux fois : «  Non pas à nous, Seigneur, non pas à nous, mais à ton nom rapporte la gloire » (Ps 113,9)

    « J 'invoquerai le nom du Seigneur. » (Ps 115,4)

    « Quiconque l'invoquera sera sauvé. » (Actes 2,21)

    49 -

    Les hommes vraiment sages croient donc en une triple opération, non pas du libre arbitre, mais de la grâce divine en lui ou à partir de lui :

    • la première est la création : nous sommes créés dans le Christ pour parvenir à la liberté de la volonté,

       

    • la deuxième, le re-formation : pour parvenir à l'esprit de liberté,

       

    • la troisième, l'état de perfection consommée, état qui sera le nôtre pour l'éternité. A la mesure de l'âge de la plénitude du Christ, lorsque « le Christ, notre vie, apparaissant, nous apparaîtrons nous aussi avec lui dans la gloire. » (Colossiens 3,4).

    Seule l'oeuvre qui se fait d'une certaine manière avec nous en raison de notre consentement volontaire – la re-formation – nous sera comptée à mérites .

    Ces mérites, ce sont nos jeûnes, nos veilles, la continence, les œuvres de miséricorde et tous les autres exercices des vertus par lesquels, c'est tout-à-fait certain, « notre homme intérieur se renouvelle de jour en jour. » (2 Corinthiens 4,16).

    Dès lors , l'intention courbée par les soucis terrestres, se redresse du plus bas, peu à peu, elle s'élève aux choses d'en haut ; l'affection, affaiblie dans les désirs de la chair, insensiblement se rétablit dans l'amour spirituel ; la mémoire souillée par la turpitude des vieilles œuvres, retrouve la blancheur d'actes nouveaux et bons : elle est de jour en jour plus joyeuse.
    La rénovation intérieure consiste, en effet, en ces trois choses : la droiture de l'intention, la pureté de l'affection, le souvenir des bonnes actions, grâce auquel la mémoire, ayant bonne conscience, devient lumineuse.

                                  
                                   Abbaye d'Aubazine

    50 -

    Il est certain que tout cela se joue en nous par l'Esprit divin, ce sont donc là des dons de Dieu.

    Mais, parce que c'est avec l'assentiment de notre volonté, ce sont nos mérites.

    «  Ce n'est pas vous qui parlez, mais c'est l'Esprit de votre Père qui parle en vous. » (Matthieu 10,20)

    En voulez-vous la preuve ?

    Quand Paul disait  avec confiance : « J'ai combattu le bon combat, j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi. Il me reste à recevoir la couronne de justice qui m'est réservée et que le Seigneur, le juste juge, me rendra en ce jour-là ». ( 2 Timothée 4,7-8), c'est parce qu'il le faisait avec une volonté bonne. « Car, dit-il, si j'évangélise malgré moi, je ne fais que m'acquitter d'une charge ; mais si c'est volontairement, j'en aurai la gloire. » (1 Corinthiens 9,16-17)

    51 -

    Mais de quel droit Paul parle-t-il d'une couronne de justice ?

    Est-ce parce qu'il est juste de réclamer désormais comme un dû, même ce qui a été gratuitement promis ?

    Ce que Paul attend, c'est la couronne de la justice de Dieu, non de la sienne. Dieu a fait une promesse, il est donc juste qu'il rende ce à quoi il s'est engagé.

    Nous l'avons dit, Dieu a voulu nous rendre participants de sa justice, coadjuteurs des œuvres.

    Le bon vouloir vient de Dieu, le mérite aussi. C'est lui qui déploie l'oeuvre offerte à la volonté.

    Ces mérites, ce sont des semences d'espérance, des stimulants de la charité, des indices de la prédestination cachée, des présages de la félicité à venir ; ils sont le chemin du royaume non un titre à la royauté. Bref, «  ceux que Dieu a justifiés » – non pas ceux qu'il a trouvé justes -, « il les a aussi magnifiés. » (Romains 8,30)

                       

    FIN

     


     

                          

Mise à jour : Vendredi 20 Mai 2022, 13:27
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Saint BERNARD - Face à la mort

 

A l'école de SAINT BERNARD -  FACE à la MORT

                      
                      
 Saint Bernard © D.G
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 - St Bernard de Clairvaux - Sermon 26 sur le Cantique des cantiques.

 - En cf. à un article de Sr Elise-Mariette Langelier, moniale cistercienne à l'abbaye d'Echourgnac
  Revue de spiritualité monastique « Collectanea Cisterciensia », 2021- 4

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 Quand nous pensons à la mort (si nous l'envisageons), nos sentiments sont très mêlés. Mort d'un proche ou notre propre mort. Certains l'ignorent, d'autres en ont peur, d'autres encore de spiritualité chrétienne qui croient en la vie éternelle et à la résurrection tentent de l'appréhender de façon plus paisible et même comme un bonheur attendu. Que faut-il en penser ? Que transmettre à une assemblée rassemblée pour des funérailles ?

 A partir du vécu de saint Bernard (1090-1153) et de ses réflexions sur la mort (sermon 26 sur le Cantique des cantiques), nous allons essayer de baliser ce chemin, ce passage et cette espérance.

Ce sermon est en effet un réel partage d'une expérience intime et douloureuse mais aussi celui d'une pensée construite et qui se veut exemplaire.

 Bernard est abbé de la célèbre abbaye de Clairvaux dans l'Aube. Parmi les nombreux moines qui y vivent, se trouve Gérard, frère de Bernard. Or, Gérard meurt à Clairvaux en 1139 et terriblement touché par la perte de son frère, Bernard va écrire un sermon inoubliable qui traduit, d'une façon qui pourrait sembler paradoxale, sa douleur et sa joie.

On peut imaginer qu'à cette époque médiévale, la mort d'un proche était ressentie comme de nos jours, sinon que la foi de l'époque et l'admiration pour les saints soutenaient peut-être davantage les personnes éprouvées.

 Pour Bernard, le temps de la vie sur terre est un temps d'exil, de presque ténèbres car l'homme est loin de Dieu qu'il ne peut voir face à face et il le cherche avec peine. « Que mon exil est long ! » dit Bernard. Notre temps sur terre est un rude labeur et la vision que nous pouvons avoir de Dieu reste voilée. La mort va être une délivrance, en particulier d'un « corps fragile et pesant ».

Bernard , nourri de l'Ancien Testament, compare le corps à une tente de nomade qui protège l'âme mais l'empêche aussi de voir la lumière. Habitation et abri précaires mais qui évoquent aussi le tabernacle, « tente admirable dressée pour Dieu » (Sermon sur Job 5).

Bernard, dont la santé est particulièrement fragile, en mesure toute la précarité et cela l'aide peut-être à envisager la mort comme un soulagement. Mais pour lui, ce qu'il ressent en son corps, traduit une autre réalité. Il apprend par sa maladie et par la mort de son frère, à mettre sa douleur à distance et à se tourner vers la lumière de Dieu. Gérard en fait ne le quitte pas mais le précède.

«  Dieu veuille que je ne t'aie pas perdu, mais plutôt envoyé devant moi ! »

 Les Béatitudes souvent choisies comme lecture par les familles en deuil traduisent cette joie et cette espérance au cœur de la peine. IL y a, il me semble, u ne sorte de choix instinctif vers une consolation même chez des personnes disant leur incroyance ou du moins leurs doutes. Nos morts seraient-ils nos éclaireurs ?

 La mort, selon Bernard, nous fait enfin quitter l'exil et revenir dans notre patrie d'origine comme on revient, ému, dans le lieu de son enfance, de sa naissance. Bernard nous encourage, et s'encourage lui-même dans l'adversité, à une mort joyeuse. « Je veux voir Dieu » intitulait un de ses livres le père carme Marie-Eugène. Voir Dieu est le but ultime des religieux et, normalement, du chrétien.

 Bernard dans un premier temps se désole de la perte de son frère bien-aimé : perte dans son affection mais aussi dans sa collaboration au sein du monastère. Il témoigne de sa douleur qu'il ne nie pas et « qui lui dévore les entrailles ». « Tu m'as abandonné ! »

 Quelle est donc notre peine ? Celle pour ce défunt qui part vers un autre monde encore insaisissable, ou la nôtre face à l'abandon, le manque soudain qu'il va falloir reconvertir en une autre présence ?

 Bernard pleure. Jésus lui aussi a pleuré à la mort de son ami Lazare. Et cela rassure Bernard. Les larmes sont un bien d'ailleurs valorisé par les Pères de l'Eglise, signes d'amour, d'affection, de compassion. Mais elles ne sont en rien en opposition avec la joie espérée au-delà de la mort.

 Le dilemme de Bernard abbé, donc guide de ses frères, est de ne pas trop manifester sa peine qui pourrait passer pour de la faiblesse.

 On connaît l'expression dans nos familles : « Un garçon, çà ne pleure pas ». Et on peut remarquer aussi que lors de funérailles, les larmes viennent davantage aux yeux des plus jeunes et beaucoup moins à ceux des adultes.

 De même, un moine de par sa foi, se doit d'être serein. D'ailleurs à l'enterrement de son frère, Bernard ne pleurera pas... alors que les autres pleurent. Il s'est « toujours imposé de ne pas donner libre cours au flot des larmes, malgré la violence de [son] trouble et de [son] chagrin ».

Bernard, grand saint s'il en est, reconnaît que sa souffrance est bien là, malgré son espérance. Il la justifie et ne veut pas qu'on la lui reproche. Mais il évoque aussi une certaine « mesure », qualité encouragée à tous niveaux, par saint Benoît. On doit rester maître de sa peine afin de la dépasser pour un plus grand bien. Les cisterciens aiment ce qui est ordonné, maîtrisé.

 J'ai souvent été frappée voir dérangée, notamment lors de cérémonies religieuses, de l'impassibilité monastique comme si les moines étaient déjà dans un autre monde. Cela rejoint sans doute l'idée de clôture, même si aujourd'hui, elle est devenue très relative. Mais j'aime aussi voir les larmes des familles en deuil qui témoignent d'un amour, d'une affection. 

 Il est clair que Bernard souffre de la séparation mais il s'en veut aussi de ne pas être tout à la joie de savoir que Gérard est entré dans la joie et la paix. Il va même plus loin : il envie le sort de son frère et trouve Gérard désormais bien plus vivant que lui ! « C'est sur moi que je pleure … me voici seul à rester. »

 Pourquoi ne pas le dire ? « Que serai-je sans toi ? » chante Jean Ferrat. Le couple amputé d'un conjoint connaît effectivement une sorte de mort qui peut même être parfois fatale à l'autre.

 Toujours selon saint Bernard, mais c'est aussi la foi de l'Eglise, à la mort, l'âme se sépare du corps mais va renaître (ressusciter) en présence de Dieu en attendant la résurrection des corps. On comprend mieux le lien à faire avec la mort et la résurrection de Jésus.

 Dans ce sermon 26, Bernard souligne donc cet enjeu : défiance ou confiance ? Les pleurs sont-ils absence de foi, signe de doute voire d'incroyance ? Le peuple d'Israël lui aussi a murmuré dans le désert face à la famine, la chaleur et l'apparente absence de Dieu...

 J'ai souvent entendu aussi cette plainte : « Comment Dieu peut-il permettre une chose pareille ? »  (décès d'un enfant par exemple)

 Ce sermon magnifique de saint Bernard , écrit dans la douleur de la perte de son frère, peut nous réconcilier avec une souffrance et des larmes bien légitimes. Mais il nous invite à nous tourner aussi vers le désir de voir Dieu et de vivre en Lui pour celui qui nous quitte et aussi pour nous-même dans un avenir plus ou moins proche. L'expérience du deuil est une expérience d'amour.

 DG

02.2022

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